Suivi des ouvriers

Le suivi – et la surveillance - des ouvriers sur le territoire est une question ancienne. Le 2 janvier 1749, une lettre patente officialise la pratique du « billet de congé » qui impose aux compagnons de se munir d'un congé écrit lorsqu'ils quittent un maître pour être embauchés ailleurs.

Le livret d'ouvrier naît aussi sous l’Ancien Régime. Des lettres patentes, dont l’Edit de Turgot d’avril 1776, complétées par celles du 12 septembre 1781, soulignent la nécessité « d’entretenir la police et la subordination parmi les ouvriers ». Le livret, délivré en Mairie, est un petit fascicule composé de quelques pages qui identifie l'ouvrier, enregistre ses sorties et ses entrées chez ses patrons successifs lors de son tour de France. A chaque arrivée et départ de la commune, voire à chaque changement de patron, le livret doit être paraphé par le commissaire de police ou par le maire ou l’un de ses adjoints. Le premier feuillet porte le sceau de la municipalité, et contient le nom et le prénom de l’ouvrier, son âge, le lieu de sa naissance, son signalement, la désignation de sa profession et le nom du maître chez lequel il travaille. Quand il quitte la ville, l’ouvrier doit déclarer l’endroit où il compte se rendre. Tout ouvrier qui voyage sans être muni d’un livret ainsi visé est réputé vagabond, et peut être arrêté et puni comme tel. Les visas sont indispensables faute de quoi l’article 217 du code pénal sanctionne cette absence par 1 à 3 mois de prison. En réalité, cet aspect est plutôt symbolique car difficilement applicable et appliqué. En outre, pour les ouvriers, il est très facile de déclarer le livret perdu et de s’en faire établir un nouveau dans une mairie où ils ne se sont pas encore présentés et donc, où ils ne sont pas connus. De faux livrets sont également en circulation.

Le livret est supprimé sous la Révolution. Il est rétabli par la loi du 22 germinal An XI (12 avril 1803), promulguée et appliquée sous forme d’arrêté le 9 frimaire de l’An XII (1er décembre 1803). La France vit au rythme des troubles depuis une bonne décennie. L’objectif est de « domestiquer le nomadisme des ouvriers ». Le livret d'ouvrier comporte un rappel de la législation notamment l'interdiction des coalitions. Le patron garde le livret pendant tout le temps où l'ouvrier travaille chez lui. L'ouvrier ne peut donc pas partir quand il le souhaite. La loi de 22 juin 1854 libéralisera en partie le travail : le livret est théoriquement est laissé aux mains de l'ouvrier. Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. Le livret reste un moyen de pression pour les employeurs. Dans le langage courant, se voir « rendre son livret » est synonyme de renvoi. Pour mémoire, le livret ouvrier concerne tant les adultes majeurs que les enfants mineurs. Dans les livrets ouvriers d'enfants, la législation sur le travail des enfants peut-être rappelé dans les premières pages qui composent le document.

Le recours au livret décline dès les années 1860. En 1868, il est question d’abroger le livret et de le transformer en livret facultatif ou conventionnel, certificat ou contrat de travail ; finalement la loi ne voit pas le jour. En 1880, c’est la naissance du « contrat de travail ». La loi du 2 juillet 1890 abroge tous les textes relatifs au livret ouvrier. Pourtant, le recours au livret ouvrier perdure après cette date. Ainsi, dans certains départements, comme dans le Nord, on en trouvera jusque dans les années 1930.

Les livrets ouvriers sont des papiers individuels conservés ou non par les familles. Aux Archives municipales d'Orléans, on peut trouver quelques livrets ouvriers dans la série relative au travail (7F). Aucune information ne permet de savoir pourquoi ils sont restés initialement en possession de la municipalité. Le service des archives a toutefois décidé de les conserver à titre de specimens.

 

En savoir plus

Baudelet Isabelle. La survie du livret ouvrier au début du XXe siècle. In: Revue du Nord, tome 75, n°300, Avril-juin 1993. Histoire économique et sociale. pp. 303-318. www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1993_num_75_300_4822. Consulté en ligne le 16 août 2016.

 

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