Cahier d'Henri Soudé (26 juillet-26 septembre 1914).
Transcription
  • Juillet 1914.

    26 - Dimanche 26 Juillet, clôture du congrès Eucharistique de Lourdes
    Discours du légat : Granito Pignatelli di Belmonte
    Ultimatum de l'Autriche à la Serbie

    28 - Mr Poincarré [ Poincaré ] est en Suède
    J'expédie à Angers 16 colis de mobilier
    29 - Mercredi 29 Juillet. Promenade à la Chapelle-Saint-Mesmin. On parle vaguement de guerre générale possible.
    Lucien est rentré à Angers lundi dernier. C'est la pluie qui les a chassés de Quimper. Ils auront ainsi une semaine pour s'habituer à Angers avant l'expiration de la permission de Lucien.

    30 - Jeudi. Déclaration de guerre de l'Autriche à la Serbie
    Acquittement de Madame Caillaux.
    Le Jury de la Seine estimant que le véritable coupable de l'assassinat de Calmette était Caillaux lui-même aurait voulu n'infliger à Madame Caillaux qu'une peine d'emprisonnement ce
  • ... ce qui légalement n'était pas possible d'où l'acquittement qui fait gros scandale.
    La Croix assure qu'on lit dans La Guerre sociale les lignes suivantes :
    « Pas d'insurrection, pas de grève grève générale au début de la guerre puisque nous ne sommes pas prêts à la faire simultanément dans tous les pays. Mais la guerre finie, avant de déposer les armes, souvenez-vous. »
    C'est une allusion non déguisée aux événements de la Commune.
    Mesures de précaution prises par l'autorité militaire. Rappel des permissionnaires de moisson. Garde des voies ferrées.
    Lucien nous écrit de venir chercher sa femme en cas de mobilisation.
    A la Caisse d'Épargne on fait queue pour les remboursements.
    Je me présente chez M Pelletier agent de change pour demander le paiement de quelques coupons. On me répond que l'on ne paye plus à présentation des coupons



    des titres étrangers mais on me propose de les prendre à l'encaissement. Je les remporte à la Banque de France beaucoup de personnes présentent des billets pour avoir du numéraire. On ne donne que des pièces de Cent sous.
    A côté de moi une personne dit à une autre « Il faut en prendre aujourd'hui le plus que nous pourrons car bientôt il n'y en aura plus. » J'essaye de la rassurer en lui disant que la pièce de Cent sous ne valant en réalité que la moitié de sa valeur la banque aurait intérêt à en fabriquer.
    Les meubles de Lucien sont partis pour Angers. Je rencontre l'abbé Dumesnil sur le Martroi.

    31 Juillet - Pèlerins de Lourdes. Evêque de Sardaigne à la cathédrale.

    1 Août - Pour la nuit du 31 Juillet au 1 Août. Nous avons entendu rouler beaucoup de voitures dans la rue de la gare. Nous avons supposé que l'autorité militaire avait embarqué beaucoup de choses ou préparé beaucoup de wagons.
    On annonce que l'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie.
    Le soir à six heures on affiche
  • l'ordre de Mobilisation générale
    Le 1er Jour de la mobilisation est le dimanche 2.
    L'abbé Dumesnil curé de Portbail que nous avons vu la veille a dû rentrer dans sa paroisse à deux ou trois heures de l'après-midi. Il revenait de Lourdes et avait hâte d'être chez lui à cause des bruits de guerre.

    2 Août - Dimanche. Messe de communion à 7 h rue Sainte Anne. Grand messe à la cathédrale l'abbé Fournier lit avec une lenteur et une accentuation particulière l'évangile annonçant la destruction de Jérusalem.
    A trois heures procession
    A quatre heures et demie salut religieux Sainte Anne.
    Je parie avec un vieux tertiaire qu'il n'y aura pas de guerre entre la France et l'Allemagne. Voici mon raisonnement : Si l'Allemagne fait la guerre à la Russie elle n'a pas intérêt à nous la faire en même temps donc elle ne la déclarera pas. D'autre part, notre gouvernement ne veut pas la guerre qui est contraire aux principes de son parti :



    Donc il ne la déclarera pas.
    Mais la mobilisation ?
    La mobilisation n'est pas la guerre dit Monsieur Poincarré [ Poincaré ] dans son manifeste à la Nation française et il ajoute que la mobilisation apparaît au contraire comme le meilleur moyen de sauvegarder la Paix dans l'honneur.
    Mais les fusils partiront tout seuls !
    Le gouvernement y a pensé et il maintient nos avant postes à huit ou dix kilomètres en arrière de la frontière.
    Le manifeste de M Poincarré [ Poincaré ] dit que le gouvernement continue à négocier et qu'il espère réussir.

    3 Août - Lundi. Les mobilisés commencent à arriver et s'engouffrent dans la caserne que les hommes de l'active ont évacuée.
    Dans la soirée l'ambassadeur d'Allemagne demande ses passeports et déclare la guerre à la France. On lui donne un train spécial.
  • 4 Août - Je vais à La Chapelle [ La-Chapelle-Saint-Mesmin ] pour y voir Louise et rapporter des prunes.
    Après diner vers deux heures je vais voir Jeanne ; en rentrant je trouve une lettre de Lucien qui nous rassure sur le compte de sa femme. Madame H. [ Hamy ] est revenue à Angers Dimanche matin.

    Dans l'appel du gouvernement à la Nation Française il y a une expression qui prend au nez qui sent le blasphème : « La France éternelle » On nous disait hier que le patriotisme n'existait pas du temps de Jeanne d'Arc. Certains pensent que le monde intelligent et libre ne date que de 1889 et voici que Monsieur Poincarré [ Poincaré ] nous parle de la France éternelle. Cette flatterie au peuple souverain est un encens dérobé à l'autel du Vrai Dieu de celui dont le poète a dit :
    L'Éternel est son nom le monde est son ouvrage et les faibles mortels vains jouets du trépas sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.



    5 Août - En me promenant rue de la République je rencontre Leymarie avec qui nous causons des évènements. Il m'apprend qu'André Fugeray est revenu de Berlin. Je vais rue du Tabour pour demander à le voir mais il est depuis hier rentré à la caserne des cyclistes comme réserviste.
    Son frère Joseph est réserviste au 331.
    Il a laissé à Versailles sa femme et sa petite fille âgée de 18 mois.
    Charles Fugeray a été appelé dès le début. Il est dans une ferme près de Neuville pour garder la voie ferrée. Il écrit à sa femme de ne pas s'inquiéter de lui qu'il trouve à la ferme le nécessaire et qu'il est inutile de lui envoyer de l'argent.
  • 6 Août Jeudi - A onze heures la soeur visiteuse des pauvres de Saint-Paterne vient voir Mme Soudé et lui demande de s'intéresser à l'ambulance que vont créer les soeurs de Saint-Marc.
    A midi André Fugeray vient nous voir Il mange avec nous en nous racontant son odyssée. Il est réserviste et aurait dû rester au dépôt mais à cause de sa connaissance de la langue allemande on le fait partir aujourd'hui. Il a le pantalon rouge et la bicyclette ordinaire réquisitionnée. Les pliantes sont toutes déjà parties. Il dit que son patron a fait une mauvaise affaire d'aller à Berlin. Il avait 12 000 Mark de loyer et les Allemands copiaient ses articles (amortisseurs de choc). Il faisait des procès de contrefaçon mais inutilement. En revenant il avait trouvé plusieurs français comme lui et ils parlaient français se disant Belges. En approchant de la frontière Hollandaise ils avaient comme compagnons de route deux officiers allemands. André a laissé sa malle à Berlin.



    Il dit qu'il était très mal nourri et qu'il a maigri. Espérons que le service militaire de campagne le remettra en bon état.
    A 4 heures le petit bataillon cycliste arrivait sur les quais de la petite vitesse pour s'embarquer. Le train n'est parti qu'à 6 heures. Madame Villiaume mère et sa belle fille accompagnaient M Villiaume fils.
    Les dépêches ne disent pas grand chose de notre guerre. Elles parlent plus volontiers de la guerre Belge. Il paraît que les Allemands pressent le siège de Liège. Je suis étonné que dans l'Est il ne se passe rien que des coups de fusil isolés. Il est bien fâcheux qu'on n'ait rien fait pour entraver la mobilisation des Alsaciens. De Belfort à Mulhouse il n'y a pas loin si on avait pu occuper Mulhouse le lendemain de la déclaration de guerre c.a.d. [ c'est-à-dire ] mardi bien des réservistes auraient été sauvés du service allemand. Plus on attendra et plus ce sera difficile de déboucher en Alsace.
  • On s'étonne que les socialistes marchent si bien dans le mouvement de mobilisation mais cela peut, il me semble, s'expliquer très bien.
    La mobilisation c'est pour la Nation un régime collectiviste. Tout appartient à la Nation qui dispose de tout. L'Individu ne s'appartient plus, ses biens sont réquisitionnés ad nutum [ arbitrairement ] . Les échéances sont prorogées, les loyers aussi. L'Etat paye tout ce qu'il prend avec du papier qui a cours forcé. Les soldats c'est-à-dire la majorité des hommes sont habillés et nourris. L'Etat distribue largement des secours à tous ceux qui ont besoin (du moins il le promet pourra-t-il le faire ?) C'est le paradis collectiviste. Malheureusement il y aura des coups de fusil et bientôt peut être la disette.
    On a rétabli quelques trains pour les civils :



    Quatre trains vers Tours et Vierzon
    Quatre vers Paris
    Deux vers Chartres

    7 août. Vendredi - On a affiché hier soir plusieurs dépêches émanant de la Préfecture et relatives au bombardement de Liège. On nous apprend que le Tsar a embrassé M. Paléologue notre ambassadeur à Saint- Pétersbourg en lui disant que c'était la France qu'il embrassait en sa personne. Au milieu de tout cela une phrase d'allure insignifiante et que je trouve fort triste la voici :
    « A la frontière de l'Est aucun engagement sérieux »
    Trois jours pleins après la déclaration de guerre les français n'ont fait aucune tentative pour pénétrer en Alsace.
    Ce qui se passe en Alsace devrait pourtant nous intéresser vivement. Il y a là toute une population amie que le gouvernement prussien oblige au service militaire et qui
  • depuis trois jours espère en nous pour la délivrer.
    En attaquant les premières, nos troupes dites de couverture n'auraient pas, il me semble, découvert notre frontière  Elles auraient obligé l'ennemi à s'y porter et le bruit du canon aurait appelé l'Alsacien ou tout au moins lui aurait permis de différer son départ. Il est fâcheux qu'on n'ait pas essayé de profiter de cet avantage. Il est fâcheux surtout que l'Alsacien se sente abandonné de nous.
    Le départ des troupes prend de plus en plus la forme d'une fête. Les troupiers sont couverts de fleurs et beaucoup ont bu plus que de raison. La guerre on n'y pense plus puisque ce sont les Anglais les Russes et les Belges qui se battent pour nous. Il est admis généralement depuis trois jours que Guillaume II est fou et que ses Prussiens sont perdus sans que les Français aient autre chose à faire que de continuer leur mobilisation.
    Le gouvernement dit au pays...



    qu'il est admirable. Le français s'admire dans ses beaux habits neufs. Il n'avait jamais été admis à endosser sa collection de mobilisation. Les chevaux ont aussi leurs habits neufs.
    Monseigneur d'Orléans [ Touchet ] écrit une lettre aux prêtres qui partent et à ceux qui restent. Cent cinquante soixante dix huit sont appelés plus une vingtaine deux de séminaristes.

    Aux premiers il recommande le courage l'esprit de discipline, la cordialité pour les camarades la fidélité aux obligations sacerdotales, la vigilance sur leurs conversations, leurs fréquentations, leur tenue Vos estis sal terrae [ vous êtes le sel de la terre ]
    Croyez bien que beaucoup jugeront l'Église et Jésus Christ lui même sur vous. Que votre vie soit votre prédication. Vous avez plein pouvoir d'absoudre. Pensez à l'extrême onction dans sa forme brève, peut être au baptême. Aujourd'hui plusieurs jeunes gens ne sont pas baptisés.
    J'ai aperçu ce soir une affiche signée Viviani et adressée aux femmes ! Je lirai cela attentivement demain ; 
  • Mais je trouve impertinente cette idée de commander des femmes dont les maris sont à peine partis de chez eux.

    8 Août Samedi - Dans sa proclamation aux femmes françaises Monsieur Viviani leur demande de maintenir l'activité des campagnes de terminer la récolte en cours et de préparer celle de l'année prochaine avec le concours des enfants filles et garçons. Il termine sur cette promesse que demain il y aura de la gloire pour tout le monde.
    Personne ne lit cette affiche qui est imprimée mais tout le monde se crève les yeux sur les petites feuilles de la préfecture (à la machine à écrire) et sur lesquelles on espère toujours trouver quelque nouvelle de la guerre. La préfecture parle bien des Belges et des Russes et des Anglais mais ne dit rien de la frontière de l'Est. Il semble que tout le monde soit en guerre excepté les Français.



    A six heures je suis allé jusqu'à la Préfecture les dépêches y sont plus lisibles. Sur les faits de guerre aucun détail intéressant.
    L'académie française dans sa séance du 6 août exprime au gouvernement ses sentiments unanimes de confiance et sa foi profonde dans la victoire de nos armées.
    M. Jules Cambon notre ambassadeur à Berlin aurait été victime d'une petite escroquerie de la part du major prussien qui le conduisait hors de Prusse. Celui-ci aurait arrêté le train en route et aurait exigé une somme de 4 000 francs pour continuer le voyage jusqu'au Danemark. Les 4 000 francs auraient du être versés en or.

    9 Août Dimanche - Le matin nous recevons une lettre de Marie-Louise. Elle nous dit que Lucien est parti d'Angers avant hier 7 Août destination inconnue.
  • Voici l'adresse qu'elle donne
    Soudé Lieutenant Compagnie de génie 10/2
    XX Division infanterie pour Angers.
    Dès le matin on lit l'annonce officielle de la prise de Mulhouse après un violent combat à Altkirch
    Journée très chaude. Les Orléanais sont exaltés par la nouvelle de l'entrée des
    Français en Alsace et de l'échec des Prussiens devant Liège.

    10 Août Lundi -. On fait courir le bruit de la prise de Colmar par les Français, mais comme la préfecture n'annonce rien que des escarmouches au nord de Mulhouse dans la forêt de Hart, beaucoup restent septiques sur la prise de Colmar. Je constate dans mon guide Baedeker (Rheinlande) [ Rhénanie ] qu'il y a 43 kilomètres de Mulhouse à Colmar et c'est une forte étape pour une armée qui vient de faire un grand effort de Belfort à Mulhouse.



    C'est vraiment une chose providentielle que cette action de la Belgique. La diplomatie n'y est pour rien. On peut dire que les Belges nous sauvent et Monsieur Poincarré [ Poincaré ] a raison de donner la médaille militaire au roi Albert.
    Depuis 40 ans Dieu cherche un soldat pour son église. Guillaume était tout désigné mais il s'obstinait à rester protestant, alors Dieu offre la place à Albert de Belgique.
    Aujourd'hui en Europe il n'y a plus que deux princes en présence.
    Guillaume le protestant
    Albert le catholique.
    Les autres ne comptent pas.
    A sept heures du soir, [ des ] dépêches insignifiantes sont affichées à la préfecture.
    En Alsace la situation reste la même.
    En Belgique les drapeaux anglais et français flottent à coté du drapeau belge.
  • 11 Août Mardi -

    Dans la nuit vers deux heures on a entendu rouler beaucoup de voitures. Ce matin à six heures des caissons roulaient vers le nord, c'étaient des munitions d'infanterie.

    Quelques instants après manoeuvre des voitures du parc. Une partie de ces voitures du parc sont placées sur le mail entre la gare et la place Bannier, d'autres sur la place Sainte-Croix. Elles sont attelées de trois chevaux de front et bâchées. A la préfecture je ne vois pas de dépêche nouvelle mais à 10h1/2 sur la façade du lycée on affiche de mauvaises nouvelles.

    Le corps qui avait pris Mulhouse samedi et avait poussé ses avant postes jusqu'à Cernay (vallée de Thann) les a retirés au sud de Mulhouse devant les forces allemandes venues de Neu Brisach, [ Neuf Breisach ] cela veut dire que Mulhouse retombe au pouvoir des Prussiens. Comment les Français ne se sont-ils pas précipités pour occuper en force....





    l'importante ville de Mulhouse. Le retour offensif des Prussiens était à prévoir. Si les Français qui ont pris Mulhouse samedi, ont marché sans ordre, comme on l'a dit, ce n'est pas une raison pour qu'on les lâche après leur succès. Quant à eux ils font une bêtise s'ils se sauvent. En pareil cas on dit « j'y suis j'y reste » et on se laisse écraser sur place.

    En fuyant ils se désavouent eux-mêmes et ceux qui les ont lâchement abandonné par jalousie ou autre mauvaise raison [ illisible ] à leur défaite, comme je l'ai entendu tantôt, de la bouche d'un homme qui lisait la Dépêche en même temps que moi et qui disait : ils avaient été trop vite ! La meilleure manière de défendre Belfort c'est d'occuper Mulhouse. A ce point de vue le Commandant de la place de Belfort aurait du envoyer des renforts et des vivres à la brigade qui a pris Altkirch et Mulhouse si il est

  • vrai comme on le dit que ce beau fait d'armes soit le fait d'une simple brigade de l'armée de couverture.
    La même dépêche annonce qu'en Belgique on ne signale aucun engagement sérieux, sauf dans la vallée de l'Ourthe. Quelle singulière façon de dire les choses. On peut en augurer qu'une grande bataille est engagée dans cette vallée qui s'étend sur un espace de cinquante kilomètres à vol d'oiseau de Liège vers le Luxembourg.
    Paul Chartier malade de la jaunisse ayant été évacué de Nancy sur Troyes, son père est parti depuis huit jours pour aller le voir et tacher de le ramener en convalescence à Orléans. Pas de nouvelles de l'un ni de l'autre.
    Aujourd'hui mardi étaient invités à se présenter les candidats aux fonctions de garde civique. Cette garde est constituée conformément au décret du .... Elle




    aura pour chef à Orléans Monsieur Barthélémy adjudant maitre d'armes du 30ème régiment d'artillerie. On demande des hommes valides de 45 à 55 ans.

    12 Août mercredi -
    Nous recevons une lettre d'Ambroise [ Lien vers la correspondance ], cette lettre à été écrite par lui le dimanche 2 août. Il est dans le gros travail de l'habillement avec les effets de la collection de guerre. Il remet sa lettre à l'abbé Delrue. Cette lettre écrite le 2 porte le cachet de la poste d'Avesnes du 6 août. Elle nous parvient le 12 au matin.
    Ambroise ne pense pas encore que la guerre puisse avoir lieu en Belgique. Il nous charge de donner de ses nouvelles au Saulchoir.
    Lettre de Marie-Louise elle nous dit que Lucien est parti dans la direction de Laon
    Aujourd'hui dix heures la dépêche officielle annonce que les Prussiens ont sommé la ville de Longwy de se rendre.
    Cette guerre est bizarre les Français ont deux millions d'hommes sous les armes.
  • et ils ne font rien pour rejeter les Prussiens hors de leur territoire. Il semble même que le gouvernement regrette la prise de Mulhouse puisqu'il ne fait rien pour la conserver. Or l'affiche du gouvernement est toujours sur les murs : la Mobilisation n'est pas la guerre.
    Au contraire c'est le meilleur moyen de conserver la paix. A l'abri de cette mobilisation, le gouvernement continue ses négociations et il espère encore réussir. Les ambassadeurs sont partis, mais Monsieur Caillot sait bien négocier avec la Prusse sans passer par les ambassadeurs.

    13 Août jeudi - Nous avons reçu hier 12 une seconde lettre d'Ambroise elle est datée du 7 août et porte le timbre de Charleville-Mézières. [ Lien vers la correspondance ] Ambroise est de garde aux ponts de la Meuse et le temps est à la pluie, mais la nourriture est passable et on a du bon foin pour dormir la nuit.
    Ce matin lettre de l'abbé Delrue qui a été conduire à la gare les soldats partants mardi 4 août.



    Il y a douze aumôniers pour le 1er corps d'armée. 400 soldats seront confessés samedi 1er août.
    Le Commandant Denis a repris du service. Il est à Bourges pour le ravitaillement de l'artillerie.
    Une dépêche affichée tantôt annonce le bombardement de Pont-à-Mousson par l'artillerie lourde allemande, mais elle se hâte d'avertir le public que ce bombardement était prévu et que même il aurait du avoir lieu le 2 [ eme ] jour de la guerre. Le public ne doit donc pas s'en émouvoir. De même l'affaire de Mulhouse a été exagérée. Les Français envoyés à Mulhouse n'avaient d'autre mission que de détruire un centre d'information, cela fait, cette colonne est rentrée en France, non pas d'après son propre mouvement mais par ordre du général, commandant le corps d'armée. Le corps Badois et le XV prussien ont suivi les français dans leur
  • retraite et sont venus se heurter à la ligne de défense française qui s'appuie à la place de Belfort.
    Je crois devoir transcrire ici le texte même de cette dépêche pour qu'on juge du ton et du mépris qu'il suppose à l'égard du pauvre contribuable qui paye tous les frais même les appointements du rédacteur :
    « Dans les pronostics sur les premières opérations de l'armée allemande, le bombardement de Pont-à-Mousson située à notre extrême frontière et l'envahissement de la région de Nancy étaient escomptés pour le 1er ou le 2ème jour au plus tard de notre mobilisation. »
    Constatons, que le seul de ces évènements qui se serait réalisés, arrive le onzième jour et n'aura pas l'influence démoralisante qu'on lui attribuait de l'autre côté du Rhin.
    Pont-à-Mousson a été en effet bombardé ce matin à 10 heures par une artillerie lourde mise en batterie à une assez longue distance



    « Une centaine d'obus de gros calibre sont tombés sur la ville tuant ou blessant quelques habitants et démolissant plusieurs maisons. »
    « Aucune action simultanée d'infanterie n'a accompagné cette canonnade. L'effet produit sur la patriotique population de Pont-à-Mousson est nul. »
    « Pont-à-Mousson est à 28 km Nord de Nancy à 6 km de la frontière. Sa population est de 14 000 âmes. »
    Un peu plus loin on lit :
    « Il résulte des engagements qui se sont déroulés jusqu'à présent sur tout le front que notre artillerie à un avantage marqué sur l'artillerie allemande. »
    Si cet avantage existe ce [il] n'a pas été à Pont-à-Mousson puisque les Allemands la bombardent, mais le scribe qui fabrique les dépêches à Paris ne s'arrête pas à cette petite contradiction.
  • 14 Août vendredi - Nouvelles peu importantes toutefois on nous annonce un succès des Belges à Diest au nord-ouest de Liège et un succès des Français au nord est de Verdun.
    Dans la région de Spincourt sur l'Othain. L'artillerie de campagne française a fait éprouver des pertes sensibles aux Allemands. C'est à ce fait sans doute que faisait allusion la dépêche mentionnant la supériorité de l'armée française.
    Le Ministre de la guerre va publier un journal pour gouverner le moral des troupes. Il se nommera Le Bulletin des Armées de la République et paraîtra tous les jours. On y dira en particulier toutes les mesures que prendra le gouvernement en faveur des femmes et des enfants.
    C'est le monopole de la pensée au profit de Monsieur Viviani.
    Le petit village de La Garde d'où nos troupes ont été repoussées se trouve sur le canal de la Marne au Rhin pas loin d'Avricourt.



    15 Août samedi - Fête de l'Assomption, tachons aujourd'hui de penser à autre chose qu'à la mobilisation. Le voeu de Louis XIII nous donne le droit de prier la Vierge, qu'elle use de son influence sur son fils Jésus, pour qu'il nous sauve de la position critique ou nous sommes entre les Prussiens d'un coté et la révolution de l'autre.

    16 Août dimanche - Peu de nouvelles, on nous annonce cependant que les Français sont entrés à Thann.

    17 Août lundi - Une dépêche affichée hier soir nous apprend que la cavalerie française s'est rencontrée avec la cavalerie prussienne à Dinant et qu'elle a eu l'avantage.
    Dinant sur la Meuse au sud de Namur n'est pas loin de Givet. La semaine dernière la cavalerie prussienne était sur l'Ourthe, aujourd'hui elle parait sur la Meuse. Il serait temps de lui faire rebrousser chemin, sinon Namur sera investi par le sud.
    On annonce qu'un convoi de blessés
  • .

    va arriver à Orléans. Beaucoup de personnes attendent devant la gare. A ce moment vers
    10 heures deux régiments territoriaux débarquent du chemin de fer, Monsieur Corazin me dit qu'ils viennent de La Rochelle.
    L'appel du Tsar aux Polonais produira-t-il l'effet qu'il en attend ? Déjà pendant la guerre japonaise la Russie avait promis beaucoup de bonnes choses mais, le péril passé, la persécution du catholicisme avait repris. Je crois que les Polonais détestent également les Russes et les Prussiens et qu'ils s'entendraient mieux avec les Autrichiens. Comment faire pour reconstituer le royaume de Pologne, il lui faudrait donner un gouvernement et une armée nationale.

    18 Août mardi - Anniversaire de Saint-Privat, les dépêches expliquent que les Français s'avancent en Alsace au sud du Donau par la vallée de la Bruche. Ils auraient pénétré jusqu'à Schirmeck. Plus au sud nous aurions occupé




    Thann et Cernay. Madame Charlot est venue hier lundi avec sa fille Hélène. Elles étaient pourvues d'un permis de circuler signé du maire de Chécy Mr Creusillet.
    A midi les factionnaires ont quitté la porte de la gare où le public peut maintenant rentrer pour acheter le journal et mettre ses lettres à la poste. Les trains circulent mieux pour le public.
    Le soir à six heures nous recevons une lettre d'Ambroise, portant le grand timbre bleu du colonel et le cachet noir trésor et postes avec la date du 12 août. [ Lien vers la correspondance ] Voici cette longue lettre.
    [ signe religieux signifiant Jésus ] 84 Régiment [ d'infanterie ] , corps d'armée 11 Cie. Chers Parents. Voilà mon adresse invariable pour tous pays. Je ne puis vous dire où je suis et cela me retire beaucoup de matière à ma correspondance.
    On ne veut pas qu'une lettre égarée renseigne l'ennemi sur notre position.
    C'est dommage car je suis dans un pays splendide et par bonheur
  • .

    nous avons là un jour de repos à cause d'un régiment qui a beaucoup trop fatigué hier. Nous continuerons notre marche en avant sans fatigue extrême au moins pour nous.
    Dans vos lettres ne m'inondez pas de cartes postales timbrées, nous donnons nos lettres sans timbres et je crois que les cartes postales ne sont pas admises, parce que plus ou moins elles portent une indication du pays traversé. Enfin nous n'avons toujours pas vu de casque pointu depuis tantôt huit jours que nous sommes partis. Nous nous contentons d'apprendre les victoires des autres.
    Vous n'êtes pas probablement mieux renseignés sur la situation de Lucien et Marie- Louise ? Certes c'est bien dur de voir partir tous les siens. C'est plus dur pour vous que pour nous car vous ne savez rien, tandis que nous autres ... Nous ne nous croyons



    pas à la guerre. Il s'en faut.
    Nous n'avons encore ni entendu ni tiré un coup de feu. Nous avons vu quelques Uhlans [ cavaliers lanciers de l'armée allemande ] mais prisonniers.
    La population est très accueillante. On nous donne tout et on ne veut pas que nous payons. Quant aux troupes elles sont excessivement calmes, un peu fatiguées de ne pas avoir encore combattu. Mais si je vous en dis tant que cela on va mettre ma lettre au panier.
    Monsieur Delrue m'a donné les 50F de même le P. [ Père ] Hugueny m'avait envoyé pareille somme. Je puis faire campagne six mois. On prend bien l'habitude de coucher dans les granges, sur le foin et la paille. Mes pieds ne m'ont pas fait trop souffrir. Enfin j'ai eu le bonheur, 3 jours de suite, de faire la sainte communion avant le départ du matin.
    Pour parer à tous évènements
  • on m'a envoyé de Saulchoir un mot de recommandation à la charité de tous les prêtres et fidèles. Je ne suis pas perdu.
    Enfin ne vous étonnez pas du retard des lettres. J'ai reçu le 9 vos lettres du 2 où papa me pariait qu'il n'y aurait pas la guerre. Il avait perdu.
    Je vous embrasse bien tous, toute la famille, Maman est-elle bien courageuse dans son épreuve ?
    Bien à vs en NS f Ignace. [  Bien à vous Notre Seigneur Frère Ignace ]

    19 Août - Les dépêches annoncent que la cavalerie française est entrée à Château-Salins et que les Allemands nous ont abandonné la rive droite de la Seille.
    Le soir Bergerat vient diner à la maison, il dit que les territoriaux des classes 1893 et 1894 sont envoyés



    dans leurs foyers provisoirement mais qu'ils restent à la disposition.
    20 Août Jeudi -
    Nous lisons dans La Croix que le Pape est sérieusement malade.
    Le combat de Dinant aurait eu lieu le 15 août jour de la fête de l'assomption.
    Compagnie = 260 hommes = 2 pelotons de 130 hommes chacun
    = 68 4 sections de 16 escouades
    = 16 de 16 hommes
    Une dépêche affichée ce matin dit : pas grand changement dans la situation. Toutefois la même dépêche signale que des forces allemandes importantes traversent la Meuse entre Liège
    et Namur. C'est le complément de l'investissement de Liège et le commencement de l'investissement de Namur.
    Vers quatre heures de l'après midi Madame Fuchs monte pour nous apprendre que N S P [ Notre Saint Père ] le Pape Pie X est mort et que Liège a été pris par les Allemands. Au salut de 5h1/2 on fait prier pour le Pape pour la France et pour l'Église. La dépêche affichée ce soir dit que les Belges vont se concentrer dans leur camp retranché d'Anvers et que les avant
  • gardes allemandes touchent à la Dyle.

    21 Août 1914 Vendredi -
    Nous avons une lettre de Marie-Louise datée d'Angers 19 août. Elle a reçu une lettre de Lucien. Dans la nuit du 10 au 11 il a couché chez une institutrice qui lui a offert son déjeuner du matin, composé de café au lait et d'oeufs à la coque. A cette date il n'avait encore rien vu de la guerre.
    Les dépêches de ce matin annoncent que les Français sont rentrés à Mulhouse et que la cavalerie prussienne est entrée à Bruxelles. Le Roi et le gouvernement belge seraient partis pour Anvers.
    D'autre part on dit que les Anglais ont débarqués à Ostende, à Dunkerque, à Boulogne au Havre (?) à Rouen !! Nous voici revenus au temps de Charles VII.
    Alors la grande armée chargée de défendre la Belgique serait ainsi disposée :
    A l'aile gauche les Belges appuyés sur Anvers.
    Au centre les Anglais appuyés à la mer.
    A l'aile droite les Français aux bords de la Meuse et de la Sambre



    C'est grandiose comme disposition mais, en attendant les Prussiens sont dans la place et vont accabler le pays de réquisitions et de contributions de guerre.
    Aujourd'hui, de midi à une heure éclipse partielle de soleil. Un peu avant le ciel s'est couvert de nuage et il est tombé quelques gouttes d'eau. On a pu cependant observer le phénomène dans un baquet et même à l'oeil nu derrière les nuages.
    Je vais à Saint-Marceau voir mes locataires, le gendre de m v [  madame veuve ] Lorin est allé travailler à la machine à battre, mais il a été blessé à la main. La veuve Turpin est allée chez sa fille à Neuville. La veuve Raphaël Hamon travaille toujours chez le médecin. Elle a chez elle sa grande fille qui vit avec un sous-off [ sous-officer ] et qui a un enfant. La veuve Bothereau reste là avec sa fille et un petit garçon de Paris. Elle avait à toucher huit jetons sur une carte, où elle est portée : adulte + 2 enfants. Elle dit que ces jetons valent deux sous
  • On délivre ces jetons au coin de la rue et de l'avenue Dauphine. L'école des garçons est transformée en ambulance. Les garçons auront la moitié de l'école des filles qui est bien assez grande pour loger tout.
    On me raconte que dans les casernes on a ramassé presque deux mille kilos de pain abandonné par les soldats.
    Je sors de chez le perruquier, pendant qu'on me coupait les cheveux et la barbe, un soldat se faisait raser à coté de moi c'était un grand bavard. Il disait revenir de Saint-Mihiel avec un convoi et parlait du moral des troupes : enthousiasme des Français, abattement des Allemands. Des dragons saxons prisonniers avec qui il aurait causé, lui auraient dit qu'en arrivant sur la frontière ils auraient appris, alors seulement, qu'il s'agissait de faire la guerre. Le garçon coiffeur ayant fait observer que les Allemands étaient entrés à Bruxelles, notre grand stratège riposta sans s'émouvoir, que c'était dans le programme, qu'il fallait qu'ils y entrassent pour en être chassés ensuite.



    Tout le monde était de son avis. Les Prussiens étaient battus d'avance, il ne restait plus qu'à fixer les conditions de la paix. La solution la meilleure était de les remettre par petits duchés comme ils étaient jadis.

    22 Août Samedi - La dépêche officielle indique des faits importants :
    En Lorraine retour offensif des Allemands, plusieurs corps d'armée. Nos troupes se replient. La raison donnée par le scribe est à noter. Devant les effectifs ennemis engagés très importants L'importance des forces ennemies, (Il) ne nous eut (été) permis de nous maintenir en Lorraine « qu'au prix d'une imprudence inutile ». Nos troupes, ayant combattu six jours, ont été ramenées en arrière en Alsace. La dépêche décrit avec complaisance la manoeuvre tactique du général Pau qui a repris Mulhouse et renvoyé les Allemands de l'autre coté du Rhin. La possession du pont du Rhin et de la douane de Bâle mériterait bien qu'on amène en Alsace des effectifs capables de refouler les Allemands au delà de Colmar de façon à être les maitres du département du Haut- Rhin.
  • .

    En Belgique les Allemands d'après la dépêche ont imposé à Bruxelles une contribution de guerre de 200 millions. Les Prussiens remontant la Meuse sur ses deux rives ont commencé l'investissement de Namur.
    Ce samedi soir on voit partir un certain nombre d'hommes en civil qui semblent retourner chez eux. On dit que les classes 1893 et 1894 sont renvoyées chez elles, mais sous condition de revenir au premier signal. Alors il reste 5 classes de territoriale. Quant à la réserve de la territoriale qui gardait les voies ferrées, j'aime à croire qu'on va la renvoyer chez elle, pour faire le travail nécessaire à la vie du pays.
    Avec 14 classes d'active, on peut bien faire la guerre pourvu qu'on n'ait pas peur de livrer une grande bataille.
    A 7 heures nous recevons une lettre d'Ambroise [ Lien vers la correspondance ]



    Chers Parents.
    Le 84 a livré sa 1er bataille hier jeudi 13. Combien bénigne. C'était la fusillade emballée contre un aéroplane allemand qui s'avisait de nous repérer sur la route. On a tout dit sur l'issu de cette tiraillerie. On a même raconté toutes les péripéties de sa chute. Finalement personne ne peut dire ce qu'il est devenu. Dès qu'un oiseau de ce genre apparaît tout le monde se « muche » [cache] et disparait où il peut. C'est le gros évènement des marches. Depuis deux jours nous n'avons plus aucune régularité d'existence. La chaleur du jour nous oblige à marcher la nuit. Nous avons fait une rude étape aujourd'hui, au moins 32 k, 9h de marche avant d'arriver à la grande halte. Puis un bon kil encore après pour aller cantonner dans un petit village où la générosité des habitants, toute stupéfiante, ne peut pourtant suffire aux besoins de deux bataillons.
    Le plus triste c'est que j'ai du caler en route - au 8ème kilomètre - J'ai lâché la Cie et dans le fossé j'ai regardé défiler
  • tous les autres bataillons, les voitures, les mitrailleurs etc., etc. et tout en queue, j'ai posé mon sac à la voiture d'ambulance.
    Je n'ai fait que 4km en voiture, tout le reste à pied, mais délesté du sac. C'est ainsi que je marchais dans le pays qui m'est si cher pour les souvenirs que j'y ai laissés l'an passé. La cause de ce calage c'est mon pauvre pied droit menacé de nouveau d'un abcès semblable à celui de cet hiver. Je suis allé voir mon ami Dole qui m'a exempté de sac pour demain et réservé une place en voiture. D'ailleurs la rougeur semble s'amollir et peut être cela se dissipera sans former de pus, mais j'ai les ganglions de l'aine fort enflés ce qui demande du repos.
    Au moins n'ai-je pas manqué de victuailles en route. Tartine de pain, beurre, confitures, café, lait, bière etc. Tout cela à profusion. Tout le long de la route c'est un accueil triomphal, les clochers pavoisés. Depuis quatre jours je ne puis plus arriver à communier le



    matin avant le départ, précisément à cause de ces départs trop matinaux. Je reçois vos lettres - régulièrement ? C'est la 3ème depuis mon départ. J'écris aussi tous les 3 ou 4 jours.
    J'ai reçu une longue lettre de Saulchoir d'où la plupart des frères sont partis appelés par le service de l'armée ou des diocèses.
    Je vous embrasse et vous remercie de vos chapelets. Fr. Ignace
    PS. Jour de l'assomption - Le canon tonne sans arrêter à 20 km de nous.

    23 Août Dimanche -
    A la messe de 8 heures à St Paterne nous avons un sermon tout à fait optimiste de l'abbé Juillerat. Il commente l'évangile du XIIème dimanche après la Pentecôte. Heureux ceux qui ont vu et entendu le Christ, qui ont été témoins de ses miracles. Mais nous aussi nous voyons des choses merveilleuses. La mobilisation par exemple qui a fonctionné sans accroc. Nous voyons les partis.
  • .

    politiques hier en lutte acharnée, fraterniser aujourd'hui en face du danger. Les lys du drapeau blanc, l'aigle de Bonaparte, les trois couleurs de la république, le bonnet phrygien et le drapeau rouge ne forment plus qu'un seul faisceau et demain ?
    Ah demain appartient à Dieu. Espérons que la dédicace de la basilique de Montmartre se fera dans deux mois au milieu des fêtes de la victoire.
    Nous avons une lettre de Lucien du 14. Depuis le 10 août il est toujours à la même place, logé chez l'institutrice du village. Le gouvernement gave les troupes. Le soldat touche paraît-il 0,500 k de viande par jour et cependant il faut le surveiller pour l'empêcher d'attaquer les conserves qu'il a dans son sac comme vivres de réserves. L'officier touche
    750 gr de viande ! Ils sont quatre. Le Capitaine, Cochard, Chavagnac et Lucien.
    Il donne l'adresse suivante : Génie de la XX div. 5ème armée Paris



    Il dit que depuis leur départ d'Angers (vendredi 7 août) aucune lettre n'est parvenue à la Cie.
    La dépêche officielle semble dire que les Allemands avancent en Belgique, comme ils veulent sans trouver aucune résistance, vers Gand et la frontière française.
    Ce soir à la cathédrale procession des reliques et de la bannière de Jeanne D'Arc.
    Allocution de Monseigneur [ Touchet ] qui prie Jeanne de chasser les Allemands et réclame la victoire au nom du droit et de la justice. .
    Il dit : sans doute nous avons pêché mais les autres n'ont-ils pas pêché aussi. Pendant la procession on chante le Miserere et les cantiques : Pitié mon Dieu. Catholiques et Français toujours, Vierge Marie au secours.
    A la grand-messe de Profondis [ des Profondeurs ] pour notre Saint Père le Pape.

    24 Août Lundi - Messe de 6 heures à Saint Paterne, promenade jusqu'au cimetière Saint Marceau. Au retour je lis la dépêche à la Société générale.
  • .

    En Belgique on dit que les Anglos Français ont pris l'offensive sur les Allemands entre Mons et Namur, que les forts de Liège tiennent toujours, que les Prussiens tirent sur Namur.
    En Lorraine les Allemands ont occupés Lunéville et nous abandonnons la région de Saales.
    Le scribe écrit : cette position était pour nous sans importance depuis que nous appuyons notre ligne de défense à la couronne de Nancy
    Le Renard du bon La fontaine disait plus spirituellement : ils sont trop verts et bons pour les goujats. Ce scribe m'agace, c'est lui après avoir annoncé l'entrée des Prussiens à Bruxelles constatait avec satisfaction qu'il n'y avait plus de Prussiens sur le territoire français.
    Le gouvernement a senti sans doute l'inconvenance de cette satisfaction car il a fait le lendemain une déclaration de solidarité avec les Belges, qu'il plaint de leurs malheurs et à qui il promet la délivrance.
    On dirait que la retraite des Français en Lorraine et l'occupation



    de Lunéville par les Allemands était due à une division du XV corps qui aurait lâché pied.
    Nous recevons à 4 h une longue lettre d'Ambroise écrite le 20 août et portant le timbre du 21 (trésor et postes) [ Lien vers la correspondance ] Il dit d'abord comment s'est passée leur progression.
    «  Les 7 premiers jours étapes régulières et courtes de 15 à 20 kil. Puis repas dans un pays splendide où nous trouvions en abondance l'eau et les vivres. Cela a duré plusieurs jours puis coup de tampon. Trois fois de suite marche de nuit, longue étape, progression rapide. Depuis ce temps nous sommes face à l'ennemi qui ne bouge pas plus que nous. Nous sommes occupés aujourd'hui à nettoyer les armes et à laver le linge. Je vais laver mon caleçon et grâce au beau soleil je le remettrai ce soir. Mais nous sommes constamment dérangés par les aéroplanes allemands ?? Français ? On se cache en pareil circonstance, c'est plus sur. Avant
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    avant hier nous en avons pris un. Les mitrailleuses ont brulé 850 cartouches pour en placer 8 dans le moteur et le pilote.
    Le 15 août il y a eu un combat assez vif. Le régiment engagé comptaient cinq frères dominicains j'en ai revu 3. Ils ignoraient le sort des deux autres. Ce fut un succès malgré les mitrailleuses allemandes très redoutables.
    Notre artillerie les a réduites. Nous avons un peu partout des batteries qui guettent l'ennemi. L'autre jour elles voyaient construire un pont, quand il fut terminé, vlan un obus au milieu, ouvrage à refaire.
    Quant aux petits fantassins les jours où ils ne marchent pas ils sont occupés au service de garde. Cela revient à peu près une nuit sur deux sinon plus. Depuis 4 jours je n'ai dormi tranquille qu'une fois, les autres c'était entre chaque heure l'obligation d'assurer la relève des sentinelles.



    Je vous avais écrit que j'étais menacé d'un abcès au pied. La menace était claire certaine. Je me suis muni de teinture d'iode et j'en ai mis. Néanmoins j'ai du caler le lendemain et mettre mon sac et moi en voiture..... le lendemain Bale m'indiqua une voiture (à minuit) nous étions cinq ou dix avec une trentaine de sacs. Je m'y endormis tranquillement. Soudain, tout le monde en bas. Pourquoi ? Le cheval est malade il faudra marcher à pied. Convoi de ravitaillement. Déjeuner chez le curé du village. On repart à 14 h à pied puisque le cheval est fourbu. Il commence à pleuvoir à verse et tout semble se disposer pour que nous passions là, la nuit. Que c'est triste ces nuits dehors. A 8 h un ordre en avant ! Encore 9 heures à faire dans la nuit sans lanterne à travers bois, terrain accidenté, route peu connue. Cela a duré jusqu'à minuit ½. J'étais en compagnie d'un séminariste qui me passait de temps en temps son vélo. A minuit ½ arrivée dans un village bondé. On trouve une grange avec une
  • .

    demi botte par homme. Brrr ! Ma capote, mon pantalon sont trempés. Réveil à 4 h pour repartir à la recherche du 84, ce fut mon 15 août ma fête de l'assomption. Le régiment fut retrouvé.
    Hier j'ai assisté à une chose superbe.
    Le régiment logé avec le notre à un aumônier. J'entrai à l'église, c'était le salut. L'église pleine de soldats debout. A terre des jonchées de paille. On a du y coucher et ces soldats disaient le chapelet, chantaient, riaient. Les séminaristes étaient à l'harmonium pour entrainer. Il y a longtemps que je n'ai pas communié. Ce sera je crois pour demain. Ce n'est pas facile nous avons réveil à trois heures.
    J'ai reçu le 19 votre lettre du 15
    Bonne mère je suis content de vous savoir courageuse. Lucien encore moins en avant que moi n'a rien à craindre pour l'instant. Marie-Louise peut être tranquille. Ah, j'oublie de vous dire que la Sainte Vierge à guéri



    mon pied au cours de la marche de 40 km que j'ai faite le jour de sa fête
    Je vous embrasse fr Ignace.

    25 août mardi - Fête de St Louis. Messe de 6 h à St Paterne. Communion à 9 heures, défilent sous non fenêtres plus de mille hommes de diverses nationalités. En tête les Belges avec leur drapeau puis des Suisses, des Italiens, etc., etc. On dit que ce sont des engagés volontaires qu'on va incorporer au 131ème
    On donne de mauvaises nouvelles de Belgique. Nous aurions échoué dans notre tentative sur Charleroi.

    26 août mercredi - A onze heures dépêche confirmant notre retraite au sud de Namur.
    L'armée franco-anglaise serait disposée de Maubeuge à Givet. On parle d'un combat heureux livré aux Allemands par le VIème corps à Virton, mais aussitôt le généralissime aurait prescrit de s'arrêter. Cet homme là n'aime pas qu'on dépasse la ligne
    [ en marge ] Les Anglais se battent à Landrecies
  • qu'il a tracée. C'est je crois un vieux sapeur de la promo 1869. Il doit tout faire dans son bureau avec la règle et le compas. Pour la seconde fois, il ramène les troupes de Mulhouse pour les reporter à l'ouest des Vosges. Il faut croire qu'il n'y avait plus de soldats disponibles ailleurs ! Les gens lisent cette dépêche et s'en vont la tête basse sans dire un mot.
    Je rencontre un notaire il me dit : je ne suis pas stratège mais je ne m'explique pas pourquoi nous sommes moins nombreux que les Allemands en Belgique, puisque nous avons les Anglais avec nous et que Anvers, Liège et Namur doivent retenir des Prussiens devant eux.
    Le temps se brouille et se met à la pluie.

    27 Août Jeudi - Il se passe quelque chose à Paris. [Le général] Messimy cède la place à Millerand mais le plus drôle c'est Jules Guesde qui entre dans le ministère sans portefeuille. Gallieni est nommé gouverneur de Paris.



    Il semble qu'on est voulu donner satisfaction aux militaires avec Millerand et aux socialistes avec Jules Guesde. Briand et Ribot entrent aussi dans le gouvernement. Que sortira t-il de tous ces mouvements.
    On donne peu de nouvelles du théâtre de la guerre. Nous aurions reculé dans la région de
    St-Dié et aussi dans le nord.
    A deux heures on crie dans les rues le journal le Rappel.
    Madame Fuchs a reçu des nouvelles de son fils Louis. Le 20 août il était à Sarrebourg sur la grande ligne de Strasbourg à 15 ou 20 km de d'Avricourt.

    28 Août Vendredi - Nous avons une lettre de Marie-Louise. Elle vient de recevoir une lettre de Lucien dont elle nous donne copie :
    Le 15 août à 16 h nous avons reçu l'ordre de nous préparer à partir (Floing près Sedan) et à 18h nous étions en route pour Boubicourt [ Boulzicourt ] (6k au sud de Mézières) nuit noire pluie battante. Nous sommes
  • arrivés à 22h à notre cantonnement. Ce soir là nous avons trouvé que la guerre n'était pas quelque chose de drôle. Le lendemain la traversée de Mézières a été pénible, car on nous offrait des fleurs du pain du café. Nous sommes tout de même arrivés à notre cantonnement où nous sommes reçus merveilleusement. Mais nous commençons à être plus serrés, nous sommes avec le 25e de Cherbourg, 3 000 h dans un village de 600 habitants.
    Néanmoins nous avons encore trouvé des lits. Pour la 1ere fois j'ai entendu hier quelques coups de canon, mais à une très grande distance. J'ai déjà entendu des coups de fusil tirés par des postes de notre infanterie sur des avions allemands, sans succès d'ailleurs.
    Ici au contraire, je n'ai vu aucun aéroplane ni aujourd'hui ni hier.
    Nous ne faisons rien aujourd'hui, j'espère que demain les hommes commenceront à bien marcher. Déjà il y avait moins de sacs dans la voiture hier car les



    trois premières marches ont été lamentables, les réservistes n'ayant pas d'entrainement.
    Nous allons dorénavant recevoir les nouvelles officielles. On nous a donné aujourd'hui pour les officiers et les soldats les 2 premiers numéros du Bulletin des armées de la république. 4 pages du journal officiel. J'ai appris aujourd'hui que le 1er corps était dans notre voisinage. M'arrivera t-il de rencontrer Ambroise. Ce serait bien extraordinaire. Mais à la guerre les choses les plus bizarres peuvent arriver. »
    La dépêche officielle de ce matin donne plusieurs renseignements sérieux. Les Allemands ont bombardé St-Dié. On se bat toujours autour de Nancy, Longwy a capitulé après trois semaines de résistance. Le commandant est décoré pour sa belle conduite. Les Anglais ont été de nouveau attaqués par les Allemands et ont du céder un peu de terrain.
    Les troupes belges de la défense mobile de Namur et le régiment français
  • qui les accompagnait ont rejoint l'armée française. On ne dit ni les raisons, ni les conditions de ce mouvement ???
    Sur le mail, devant la manutention et la caserne d'artillerie, on installe une boulangerie de campagne. Une vingtaine de fours montés sur voiture, puis de grandes tentes abritant les pétrins mécaniques, les étagères pour poser les moules à pain. Enfin au milieu du mail les manèges à cheval qui donnent le mouvement aux pétrisseurs mécaniques par transmission d'arbres avec joints à cardan. C'est le service des subsistances du Ve corps qui fait marcher cela. Sans doute pour fournir du pain aux armées en campagne.
    Une autre dépêche parle des faits de guerre à l'étranger ou sur mer. Capture du Kaiser Wilhem der Grosse. [ paquebot transatlantique der Kaiser Wilhlem der Grosse ]

    29 Samedi - Le matin on affiche le manifeste du gouvernement : appel à la patience, à l'effort « Les Hommes tombent, la Nation continue »



    Sur le fait de guerre rien. La dépêche dit : de la Somme aux Vosges pas de changement. Je suppose que c'est une coquille et qu'il faut lire « de la Sambre aux Vosges »
    On me dit que la boulangerie de campagne installée sur le mail vient de Chalons- s/- Marne, la trouvait on trop près de l'ennemi ou trop exposée à l'invasion.
    Le parti socialiste a autorisé Jules Guesde et Sembat à entrer dans le gouvernement. Cela est logique, le régime de la mobilisation sous lequel nous vivons depuis le 2 août c'est le collectivisme d'état complet. L'état dispose de tout au nom de l'intérêt général. Monopole des chemins de fer, de la banque, de la pensée même, puisque les journaux ne peuvent rien dire que de répéter les dépêches officielles et que l'armée reçoit chaque jour le journal officiel des armées de la république.
  • .

    Vers trois heures, on amène un convoi de blessés. De grandes prolonges garnies de paille les reçoivent dans la cour de la grande vitesse et les conduisent aux différentes ambulances de la ville, beaucoup sont blessés à la tête. Une foule nombreuse stationne devant la gare et plusieurs personnes applaudissent quand passe une voiture de blessés ? ? ?

    30Août Dimanche.
    La dépêche d'aujourd'hui n'est pas longue, mais elle en dit long. En Lorraine au pied des Vosges, nous tenons la ligne de la Mortagne. Sur la Meuse rien de particulier, mais la droite des Allemands avance toujours à grands pas. Au sud ouest de Mézières combat à Signy-l'abbaye et Novion-Porcien. Plus à l'ouest et plus près de Paris bataille à Guise. Nous sommes débordés par les Prussiens qui marchent sur la Fère. Combat à Launoy ( ? ) (entre Lille et Tournai ?)
    C'est donc bien de la Somme qu'il était question hier.



    A dix heures ¼ grand messe à la cathédrale et absoute par Mgr l'évêque d'Orléans [ Touchet ] . Le choeur était tendu de noir et au fond l'écusson aux armes du Pape Pie X était barré d'un crêpe. Deuil à la porte de l'église.

    31 Août Lundi.
    Le matin à 10 heures, messe pour le lieutenant Jeanray. La dépêche officielle annonce deux choses : sur la Meuse à Dun un régiment allemand a essayé de passer et a été repoussé. A notre aile gauche c.à.d. du coté de Guise ou La Fère, le progrès de l'aile marchante allemande nous a obligé à céder du terrain.
    Or de Laon à Dun à vol d'oiseau il n'y a que cent vingt kilomètres. Si donc ces deux armées allemandes marchent l'une vers l'autre ce qui est probable, elles pourraient se rencontrer en trois ou quatre jours, y compris deux jours de bataille. Deux jours de marche font 60 kilomètres pour chaque armée soit 120 k en tout de distance gagnée.
  • .

    Le général Gallieni a ici une belle occasion de se signaler, il n'a qu'à marcher sur la Fère avec l'armée de Paris pour barrer la route aux Prussiens, ou leur tomber sur le flanc s'ils tournent à gauche vers Reims. Cela fait partie de la défense de Paris. En 1870 le général Vinoy avec une division, est revenu de Mézières à Paris ayant les Prussiens sur le dos et sur le flanc gauche.
    Gallieni pourrait donc faire cette pointe sans découvrir la capitale dont il a la garde.
    Nous avons une lettre de Marie-Louise. Elle a reçu une lettre de Lucien. Il venait de faire une longue marche de nuit. Sans doute à la suite de la défaite des Français à Charleroi.
    Robert de Larosière est reçu à navale, ils sont cent environ.

    1 Septembre 1914. Mardi. On a affiché cette nuit une longue dépêche que le public lit avidement ce matin. Elle fait l'historique de la guerre depuis le commencement.



    (C'est le 31 août que les Prussiens sont entrés à Amiens.)
    Voici ce que j'ai remarqué d'intéressant. Avant hier (c a d 29 puisque la dépêche est datée du 31 23 heures) grande bataille au sud-ouest de Mézières. Elle continue, résultat indécis.
    Autre combat dans la région de Saint Quentin, Péronne, Ham. Les Anglais ont été obligés de reculer. Les Allemands ayant essayé de franchir la Meuse près de Dun au nord de Verdun auraient été repoussés.
    A neuf heures débarque du ch [ chemin ] de fer un régiment territorial le 45ème, ils sont partis de Vouziers hier matin. C'est donc 24 heures de ch [ chemin ] de fer pour venir de Vouziers à Orléans par Chalons-s/-Marne.
    Ils disent que Mézières-Charleville a du être évacuée par les Français.
    Quelqu'un vient dire à Madame Fuchs que son fils a été blessé à la cuisse à Sarrebourg, désespoir de cette pauvre mère qui craint de ne pas revoir son fils.
    Dans la cours de l'école d'application
  • .

    du génie et de l'artillerie, je lis ceci : dès qu'une place n'est plus couverte par les armées de campagne (c'est un peu le cas de Paris en ce moment), le gouvernement lance sur les principales voies de communication des détachements de contact, dont une des missions est de le renseigner, sur les mouvements et les effectifs des colonnes ennemis en marche contre la place ou passant à proximité. Ces détachements engagent dans ce but des actions offensives partielles avec la cavalerie et les avant-gardes de l'armée adverse, en évitant de se laisser couper de la place sur laquelle ils se replieront.
    D'après cela l'armée de Paris du général Gallieni devrait envoyer une colonne au devant des Prussiens qui sont dans la région de St Quentin. Cela serait plus utile que de couper des arbres autour de Paris.
    Hier, une vingtaine de territoriaux



    de Chécy des classes 1893 et 1894 ont été rappelés et envoyés à Paris avec des cognées
    Ces hommes sont vignerons ils ne sont pas bûcherons. Ce matin je voyais décharger dans la cour du génie une voiture pleine de cognées toute neuves
    L'arrivée à Orléans du 45 territorial des Ardennes est sans doute une mesure générale. On les retire du théâtre de la guerre, mais alors nos corps d'armée active qui se battent à
    Rethel ou à St Quentin ou dans les Vosges, ne profiteront pas de l'appui des territoriaux qui leur serait bien utile pour dominer l'ennemi par le nombre. Si on ne leur donne pas de renfort, ni territoriaux, ni armée de Paris, alors ils seront enveloppés et vaincu à Sedan pour la deuxième fois en 45 ans.
    Les Parisiens émigrent et comme les trains ne marchent pas ils fuient
  • .

    en automobile. Toute la journée on en a vu arriver non seulement les voitures de maitre, mais des taxis autos parisiens.

    2 Septembre 1914 Mercredi. Je vais à la Chapelle [ La Chapelle-Saint-Mesmin ] voir Louise. Elle loge un lieutenant de dragons. Ce sont des territoriaux. Ils ont quelques chevaux déjà fatigués de la guerre. Je vois une famille de Bavay près Valenciennes qui fuit dans sa voiture. Un monsieur et quatre dames, ils voyagent à petite journée.
    La dépêche du jour annonce que l'armée française se retire devant les Prussiens, partie vers le sud (c.à.d. vers Paris), partie vers le sud-ouest (vers Amiens peut être ?) A Rethel, la bataille continue pour arrêter momentanément les Allemands.
    Si les Allemands lançaient tout à coup leur cavalerie sur Reims, Epernay et
    Chalon-s/-marne, l'approvisionnement de nos armées serait gravement compromis .On ne dit



    plus rien de la Meuse et de la Meurthe, c'est à St-Quentin et surtout à Rethel que se joue la partie

    3 Septembre 1914 Jeudi. La dépêche de cette nuit dit que en Lorraine nous progressons sur la rive droite du Sânon. Que dans la région de Rethel les Allemands ne manifestent aucune activité. Qu'une troupe de cavalerie allemande s'avançant vers la forêt de Compiègne été défaite par les Anglais, qui lui ont pris ses canons. Qu'une autre troupe de cavalerie allemande a poussé jusqu'à la ligne de Soissons à Anizy-le-château c.à.d. de Soissons - Laon.
    J'apprends que trois de nos cousins se disposent à quitter Orléans, c'est une épidémie de frousse. Ma femme en subit l'influence et casse le globe de la pendule.
    La boulangerie de campagne et toutes ses annexes occupent le boulevard St-Euverte jusqu'au ch [ chemin ] de fer. Je descends vers la Loire, les travaux du canal sont interrompus. Un factionnaire armé d'un fusil, mais en casquette avec un
  • brassard sur sa blouse me défend d'approcher du bord du quai, cependant qu'une troupe de gamins se baignant dans la Loire, abordent à l'écluse. D'autres sont assis sur le mur du batardeau et pêchent à la ligne. Ce factionnaire était en grande conversation avec un ouvrier de ses amis. Il a voulu probablement montrer à cet ami l'importance de ses fonctions, en me disant de ne pas approcher.

    Septembre Vendredi 1er du mois- Messe et communion à St Paul. Il parait que le gouvernement cédant à la frousse générale se trouve à Bordeaux. A la préfecture où j'allais lire la dépêche habituelle, je trouve une belle page de rhétorique expliquant le déménagement. Sans paix, ni trêve, sans arrêt, ni défaillance -- lutte sacrée -- l'honneur de la nation -- droit violé (et la liquidation des congrégations ?)
    Durer et combattre pendant que sur mer les Anglais - - pendant que les Russes continuent à s'avancer pour porter



    au coeur de l'empire d'Allemagne le coup décisif ...
    A la demande de l'autorité militaire, le gouvernement transporte donc momentanément sa résidence sur un point du territoire, d'où il puisse rester en relation constante avec le reste du pays.
    Il est donc bien encombrant le gouvernement pour que l'autorité militaire demande à être débarrassée de lui
    Mais d'abord où est elle l'autorité militaire ? Etre le ministre de la guerre est ce le généralissime Joffre ? Est-ce le général Gallieni gouverneur de Paris.
    Le soir n'ayant pas de dépêche, je dépense deux sous pour acheter Le Progrès et Le Républicain [ orléanais ] . Le Progrès se plaint de n'avoir pas de dépêche, ce qui favorise les propagateurs de faux bruits. En manchette
    La tactique française.
    Nous épuisons de plus en plus l'ennemi.

    5 Septembre Samedi.
    Toujours pas de nouvelles. Je vais à la gare de St Marceau, mardi il y aura un train pour Cléry [ Cléry-Saint-André ] .
  • .

    Le Progrès et Le Républicain [ orléanais ] disent que l'élection du nouveau pape est un succès pour la France, parce que [ Monseigneur ] Delle Chiesa était ami de Rampolla.

    Vers cinq heures on affiche enfin une dépêche disant que l'ennemi parait négliger Paris pour poursuivre sa tentative de mouvement débordant. Il a atteint la Ferté-sous-Jouarre, dépassé Reims et descend le long et à l'ouest de l'Argonne.

    « Cette manoeuvre n'a pas plus atteint son but aujourd'hui que les jours précédent »

    Ce scribe se croit toujours obligé de faire la critique des évènements.

    Maubeuge violemment bombardé résiste toujours. C'est la première fois qu'on nous dit que Maubeuge soit bombardé.

    6 Septembre 1914. Dimanche.

    Trois lettres aujourd'hui, une d'Ambroise, une de Lucien une de l'oncle Henri. Lucien et

    Ambroise ont été au feu. Ambroise a été très impressionné physiquement par l'explosion des shrapnels. La compagnie n'a eu qu'un seul blessé et très légèrement
    [ Lien vers la correspondance ] [ la lettre est recopiée en fin de cahier, folio 50 ]




    Lucien a vu un homme tué au bord du chemin. Tous deux souffrent surtout de la privation de sommeil. Quatre heures par nuit c'est insuffisant. C'est le dimanche 23 août qu'Ambroise a vu le feu pour la 1ère fois.

    La dépêche du jour ne donne pas grand détail sur les faits de guerre mais elle insiste sur ce que les gouvernements de Russie d'Angleterre et de France sont bien d'accord pour ne pas traiter séparément avec l'Allemagne.

    7 Septembre 1914 Lundi.

    Je vais le matin prendre trois billets d'aller et retour pour Cléry [ Cléry-Saint-André ] . On me donne hier à la mairie un laisser passer rouge mais en me disant, qu'on n'en délivrerait plus et que la gare de St-Marceau devrait accepter les voyageurs sans laisser passer aux deux jours des 8 et 18.

    La dépêche du jour annonce que notre gauche est au Grand-Morin affluent de gauche de la Marne et que les Anglais travaillent le flanc gardé de l'aile droite allemande.

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    8 Septembre. Nativité de la Sainte Vierge.
    Pèlerinage à N.D de Cléry, départ à 6 heures avec Louise qui rentre à midi. Nous restons au salut et rentrons à Orléans à 6 heures.

    9 Septembre Mercredi. Le communiqué officiel du 8 septembre 15 heures, dit, que de violents combats se sont livrés entre Fère-Champenoise, Vitry-le-François et la pointe sud de l'Argonne. A notre aile droite des Prussiens marchant de Château-Salins vers Nancy ont été repoussés au nord de la forêt de Champenoux.
    Des troupes de la défense de Paris ont avancé depuis les rives de l'Ourcq jusqu'à Montmirail.
    Les Prussiens sont entrés à Amiens le 31 août et ont imposé une contribution de 2 millions.
    Ils sont entrés à Lille le 3 septembre et ont demandé 7 millions. A Lens ils ont demandé
    700 000 francs.
    Nous touchons au moment critique Il s'agit de savoir si l'aile marchante allemande arrivera à faire sa jonction avec l'armée de Metz à travers l'armée française. Aura-



    -t- elle assez de munitions pour soutenir le combat contre les Français qui la suivent et qui maintenant cherche à lui barrer le passage. Notre jeu est évidemment de la combattre jour et nuit pour l'empêcher d'arriver à son but. Je n'ai pas trouvé sur la carte le col des Fourneaux. C'est l'armée de Paris qui marche de l'Ourcq à   [ illisible ] C'est insuffisant.

    10 Septembre Jeudi. On continue de se battre dans la même région. Les Anglais ont passé la Marne entre la ferté-sous- Jouarre et Château-Thierry.

    11 Septembre Vendredi. Le matin à 6 heures, madame Soudé voit des Belges à la grille de la gare des marchandises. Ils prétendent que depuis cinq jours ils voyagent en chemin de fer sans toucher de vivres. A sept heures ils n'y sont plus. Ma porte pour la rue Desfriches est faite depuis un mois par Château qui l'a portée chez Blanchard. Celui-ci l'a ferrée. Je lui dis de la porter chez Villaume pour lui donner une couche
  • d'impression, mais je n'ai pas l'intention de la faire poser maintenant, la vieille porte peut encore durer tout l'hiver. La dépêche officielle dit qu'on a refoulé la garde prussienne [ illisible ] des marais de St Gond. Je suppose que c'est dans la région de Champeaubert (au nord de Sézanne). On se bat toujours à Vitry, en Argonne et entre Château-Salins et Nancy. Le public se plaint de ne pas recevoir les lettres écrites par les soldats. Le gouvernement répond que c'est pour éviter le danger des indiscrétions. Cette raison n'est qu'un prétexte. La vrai raison, c'est qu'on veut tenir la nation dans l'ignorance absolue de ce qui se passe.
    Les soldats de l'active auraient besoin d'être soutenus par ceux de la territoriale.
    Voila le mauvais temps. Depuis mardi il a plu abondamment chaque jour, nos pauvres pioupious vont avoir la fièvre. Le 140ème territorial s'est fait tremper en allant de son



    cantonnement à la gare pour prendre le train

    12 Septembre Samedi. Les nouvelles continuent d'être bonnes. Les Prussiens cèdent partout. Le fait est qu'ils doivent être éreintés. Depuis la bataille de Mons (22 août), ils n'ont pas cessé de marcher et de se battre. Les Français aussi, mais j'imagine qu'ils ont pu profiter un peu du chemin de fer et qu'ils ne manquent ni de vivres ni de munitions. Enfin, le généralissime a pu amener des effectifs suffisants pour balancer ceux des Allemands.
    Le soir un régiment territorial s'embarque à la gare. Il vient toujours des blessés. Il a plu encore beaucoup depuis 24 heures.

    13 Septembre Dimanche. (x) Nous avons une lettre de Marie- Louise portant le timbre d'Angers 19h 36 du 11-sept -14 .Elle a donc mis 24 h pour faire la route en chemin de fer. Elle donne un mot de Lucien et nous envoie une vieille lettre écrite par...
    (x) voir au verso le sermon de Mr Juillerat à la messe de 8 heures.
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    Ambroise à Lucien le 13 août.[ Lien vers la correspondance ]
    Les dépêches d'aujourd'hui sont très bonnes, les Allemands ont abandonné Vitry-le-François, Revigny, ils se replient sur Reims. D'autre part ils s'éloigneraient de Nancy. Nous avons repris St-Dié et Lunéville. [ Monseigneur ] Turinay avait fait un voeu pour que Nancy ne fût pas occupé. Tout cela est réconfortant, mais nous sommes inquiets de n'avoir pas de nouvelles de nos fils.

    14 Septembre Lundi. Pèlerinage à St-Aignan, visite du frère Christophe Baudet.
    Sermon de M Juillerat à la messe de 8h à St-Paterne : MM. parlons de la souffrance, aussi bien l'évangile que vous venez d'entendre, (Jésus ressuscite le fils de la veuve de Naïm)
    et les circonstances pénibles que nous traversons nous invitent à méditer ce sujet.
    Pourquoi souffrons-nous et comment devons-nous souffrir.
    Nous souffrons 1° parce que nous sommes coupables, 2° parce que dans le bonheur, nous oublions



    Nos fins dernières et que la souffrance seule peut nous ramener dans la bonne route.
    Enfin parce que N S [ Notre Seigneur ] ayant souffert nous devons l'imiter et souffrir avec lui.
    Après s'être abandonné à la douleur, le chrétien se ressaisit, il se résigne puis il accepte la souffrance. Mon Dieu que votre volonté sois faite. Enfin il désire souffrir comme Ste Thérèse. Toujours souffrir jamais mourir.
    Un jour N S [ Notre Seigneur ] présente à Ste Catherine de Sienne deux couronnes, une de roses, l'autre d'épines et lui dit. Il faut les prendre l'une après l'autre. Acceptons d'abord la couronne d'épines afin qu'après la vie terrestre nous recevions la joie du paradis éternel avec Dieu

    15 Septembre Mardi. Les dépêches confirment les succès précédents. On suppose toutefois que les Allemands feront tête sur l'Aisne. Dans la Woëvre nous avons dégagé le fort de Troyon. Du coté de Nancy tout le territoire français est débarrassé. Je vais à la Chapelle [  La Chapelle-Saint-Mesmin ] pour voir Louise mais elle était en promenade. Les dragons
  • ont été remplacés par les chasseurs à cheval territoriaux qui déménagent à leur tour. En revenant, sur la route, je lie conversation avec des gens en voiture. La mère et le fils âgé de 14 ans. Ils ont abandonné leur maison située près de Chantilly à l'approche des Prussiens, maintenant ils retournent chez eux et se demandent dans quel état ils vont retrouver leurs affaires. Ce sont des loueurs de voitures, le mari est territorial. Ils se plaignent de payer très cher le lit pour la nuit, il leur est arrivé de coucher dehors.
    Après la prière habituelle du soir à St-Paterne nous recevons la visite de Cécile. Elle est de service à l'ambulance des Aubrais une nuit sur deux. Là on ne s'occupe que des trains qui passent Orléans, on distribue des aliments chauds, café, lait, bouillon. D'autres trains viennent à Orléans et y débarquent leurs blessés. Enfin la bataille s'éloignant, c'est Troyes qui redevient gare régulatrice et les grands blessés ne viendront plus ici tout de suite.
    Lettre de Lucien à Ambroise (voir au 4 janvier 1915)



    16 Septembre Mercredi.  J'envoie à Ambroise un caleçon de mon trousseau de polytechnique (année 1877 et une serviette par la poste, 450 grammes recommandé.0,55f. Sa mère suppose qu'il doit remonter vers le nord par Compiègne, Montdidier, Péronne. En lui envoyant une pièce de linge chaque semaine, nous espérons l'entretenir, car il ne peut pas laver son linge.
    Le journal La Croix nous donne le texte de la lettre de Sa Sainteté Benoit XV en faveur de la paix. Les dépêches sont bonnes toutefois elles font craindre de nouvelles batailles. Les Allemands font tête au nord de Reims. Dans l'Argonne ils ont reculé jusqu'à Vienne-la-Ville et Varennes sur la Meuse jusqu'à Cousenvoye. Ils occupent encore Château-salins, Delme, Etain.
    A Lyon le 8 septembre le chanoine Faugier recteur de Fourvière ayant invité individuellement les conseillers municipaux, six d'entre eux ont assisté à la cérémonie.
    Voeu fait par les échevins de Lyon en 1643 à l'occasion d'une peste. Toujours pas de lettre de nos fils.
  • 17 Septembre- Je vais à la trésorerie pour payer le crédit foncier (894 fr). J'y vois le cousin Jamet. Il se plaint de n'avoir pas de monnaie pour payer les soutiens de famille. Cependant, la monnaie a frappé beaucoup de pièces neuves de 2f, 1f, 0,50. J'ai fais mes offres de service à l'ambulance du lycée. Je rencontre Jules Chartier, sa fille ses deux petites filles et son fils Paul sont partis au Pouliguen au moment de la grande panique. Ces gens là étaient trop heureux d'être tous réunis à Orléans, ils ont éprouvé le besoin de se séparer.
    A deux heures, nous allons voir madame Ramet que nous trouvons chez elle rue Bellebat. Son mari est du coté de Nancy. Elle désire retourner à Angers pour les classes de ses fils âgés de 13 et 14 ans. Nous voyons passer un train de blessés, parmi lesquels quelques Allemands. Les boulangeries de campagne sont toujours sur le mail. Au pont Bourgogne nous voyons passer une auto pleine d'Anglais. Ces gaillards là sont



    les maîtres. Après qu'on aura refoulé les Allemands il faudra aussi se débarrasser d'eux
    Ce sera peut-être plus difficile qu'on pense. On dit que soixante mille Indiens sont en route pour la France. Qu'allons-nous faire de tout ces gens là ? Il faudra les nourrir après avoir nourri les Prussiens. Il viendra aussi des Arabes et des Sénégalais. Pourvu qu'il ne vienne pas de Chinois.

    18 Septembre. Vendredi. Madame Fuchs reçoit une lettre qui lui donne des nouvelles de son fils Louis.
    St-Gall 14 Septembre 1914
    Villa Jacob Hoffmann 120 Rosenberg.
    Aujourd'hui 14, je reçois une lettre de ton fils Louis, par laquelle il nous prie de t'écrire qu'il se trouve comme prisonnier et légèrement blessé dans Lager-Lechfeld près Munich dans les montagnes. Comme il pense que vous vous faites du souci de lui, il nous prie d'écrire à sa femme et à vous pour vous le faire savoir. La carte que j'ai reçue de Louis est du 28 Août ce qui fait environ 16 jours de voyage. Je te prie si tu reçois ma lettre de me le faire bientôt savoir. Votre frère Auguste Fuchs.
  • .

    A midi nous recevons une lettre de Marie-Louise qui nous donne celle de Lucien ou plutôt les deux de Lucien.
    Après avoir traversé Mézières, nous avons cantonné à Bourg-Fidèle. Le lendemain nous passions à Rocroi et pénétrions en Belgique. Une marche de nuit et jour nous porte à Hanzinelle (N. O de Philippeville), nouvelle étape vers le nord, repos un jour, on entend le canon toute la journée. A 19 h départ, le lendemain ( [ en marge ] 23 août [ illisible ] Charleroi) nous recevons l'ordre d'attaque. Pour nous il s'agissait de faire des tranchées en arrière de la ligne de feu. Nous suivions les phases du combat, à droite notre corps avançait sur Falisolles. A 10h violente attaque prussienne sur notre gauche contre le 3ème corps. Les éclats d'obus allemands se rapprochent. Nous qui nous demandions une heure avant s'il était bien utile de continuer notre travail puisqu'il semblait que nous allions jeter les prussiens dans la Sambre, nous nous replions. Vers midi nous partons organiser la lisière d'un bois au N E de la position que nous occupions primitivement. Nous avancions mais il



    était certain que le 3ème corps faiblissait de plus en plus. A 3h nous battions en retraite. Ah, ce que cela m'a fait mal au coeur de sentir siffler à mes oreilles les 1ères balles alors que je leur tournais le dos. C'est en traversant le village de Le Roux que j'ai vu les premiers éclats d'obus tomber à mes pieds. Le soir, nous rentrions dans le pays que nous avions quitté la veille. Tous les habitants déménageaient. Nous sommes nous même partis à 2h du matin et en arrivant au petit jour à Oret nous nous sommes trouvés pour la 1ère fois, dans un village complètement abandonné.
    A 11h nouveau bond en arrière suivi d'un second etc... à 16h arrêt demi-tour, en avant marche et plus vite qu'on avait reculé.
    Le soir nous étions aplatis dans un vallon attendant qu'on nous trouve de l'occupation. A notre droite les obus explosifs tombaient dans Oret avec un bruit énorme. Nous avons su le lendemain que les effets étaient nuls. Au dessus de nous, sifflaient les balles explosibles.
    (Où sont les conventions de la Haye)
    A notre gauche dans un bois, éclatent les
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    coups de feu français. Il y eut un commencement de panique. Les hommes se croyaient tournés. Ce fut très singulier, la sonnerie de cesser le feu et rassemblement pour terminer la bataille. Les Allemands devant tant de bruit et de sonneries disparaissaient dans l'ombre. La nuit se passa dans un champ d'avoine.
    Bataille de St-Quentin 28 août.
    Le lendemain nous commençons notre rôle d'armée fantôme disparaissant chaque nuit. Nous avons passé ainsi à Chimay Hirson. Alors nous reparaissons. Nous cognons dans la garde sur l'Oise vers Guise. Toujours la même tactique, reculade. Nous abandonnons vers onze heures le village de Sains-Richaumont. A Six heures nous y rentrions au pas gymnastique avec le 1er corps. Plusieurs maisons brûlaient. Nous avons passé une partie de la nuit à faire des créneaux dans les maisons, pour bien tirer en cas d'attaque. Le lendemain nous recevions l'ordre de quitter le village.



    Et puis de nouveau, nous nous sommes mis à courir vers le sud, passé l'Aisne vers Reims. Incident agréable, nous partons faire des tranchées nous allons nous mettre à la disposition d'un capitaine qui commandait le bataillon des avant-postes. Il était établi dans un château où nous sommes invités à diner.
    (3 sept.). Hier à 15h nous étions à Épernay, au lieu de boire de la bière, nous en étions au champagne. Comme nous n'avons jamais été battus, le moral des troupes est toujours bon
    On ne réclame qu'un peu de sommeil et le temps de se laver
    J'ai rencontré une fraction du 84 d'infanterie, mais mon frère n'y était pas.

    Lettre du 8 septembre. Depuis Épernay nous avons fait beaucoup de chemin. Nous nous sommes embarqués en chemin de fer et le lendemain après avoir dormi comme je n'avais pas dormi depuis longtemps, nous nous sommes arrêtés dans une petite gare [ en marge ] Vimpelles entre Montereau et Nogent-sur-seine où nous avons attendu les ordres pendant plusieurs heures, n'ayant pas la moindre idée de ce que
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    allions devenir. Tout à coup apparait notre colonel Bernard. Il nous fait repartir pour une autre gare. Nous avions eu le temps de manger tranquillement et de nous laver. Pendant le débarquement qui a été très long, nous avons eu le temps de déjeuner dans un café. Nous revenions enfin dans des pays habités. Nous partons organiser une position. Le soir à
    [ en marge ] Soligny-les-Etangs nous dinons chez la belle-soeur du sénateur de Lendrail.
    Le lendemain, tranchées. A 5h comme nous songions à la soupe, de gros camions automobiles arrivent avec ordre de nous prendre. Diner à la hâte dans une ferme chez le fils du même sénateur. En route quelle poussière. Quand, à 9h du matin, on nous a débarqués nous étions complètement blancs. On nous dépose dans une ferme et nous attendons [ en marge ] région de Cézanne Nous étions dans notre division qui possède un nouveau général pour remplacer celui qui avait été blessé à Charleroi. En avant, mais le soir vers 4h un avion allemand nous survole et les gros obus de 105 prennent à partie



    notre artillerie, légère reculade. On repart en avant, les coups nous arrivent sur notre gauche (de l'ouest). On bat en retraite, nous faisons des tranchées pour les compagnies aux avant-postes jusqu'à 9h et nous allons bivouaquer dans un bois.
    Au moment où nous nous installons, des obus se mettent à nous passer sur la tête, tant pis on s'endort. A minuit fusillade on se rendort. A 4h nouvelle fusillade mais les balles crépitent au dessus de nous.
    Nous partons et nous retrouvons le général de division qui nous fait creuser des tranchées fort en arrière de la position occupée par les fantassins. La fusillade crépitait à l'ouest, le canon tonnait au nord et à l'est, nous n'y comprenions rien.
    Comme consolation, nous trouvons dans la ferme de l'Eper  des caisses de biscuit, de la viande et des haricots amenés là par le service des subsistances. Tout ravitaillement régulier étant devenu impossible, on puise dans le tas. Comme les chevaux et les voitures n'avaient pas été embarqués
  • dans les autos, nous n'avions pour toute ressources que ce que nous avions emporté dans nos poches. La fusillade de l'ouest se ralentit, pendant que les obus venant du nord se rapprochent. Alors la position que nous avons organisée le matin face à l'ouest, nous recevons l'ordre de l'organiser face au nord, puis contre ordre, c'est inutile. Les Allemands déguerpissent. Le soir, je suis allé à cheval examiner les tranchées allemandes. Un convoi de prisonniers arrivait. Les cavaliers et les brancardiers avaient l'un, un fusil, l'autre un casque. Pour la première fois c'étaient à notre tour de nettoyer le champ de bataille. Les fourgons sont arrivés chargés de ravitaillement et nous avons dormi tranquillement sous une bonne couche de paille de seigle et ce matin nous avons bu notre café avant de partir. Il y a longtemps que cela ne nous était pas arrivé.
    Et en avant vers le nord. Nous



    trouvons des maisons criblées de balles. La route creusée par les obus. Ils ne viendront pas assiéger Paris.
    Vendredi à 10 heures, je vais voir le proviseur du lycée à qui j'avais écrit hier pour offrir mes services. Il a dans le lycée un hôpital complémentaire n°42 . Cet hôpital devrait fonctionner uniquement avec des militaires, mais il n'a que 23 infirmiers au lieu de 45 et il accepte le concours de civils de bonne volonté, en particulier celui des femmes, des professeurs et de quelques grands élèves disponibles pendant les vacances.
    Il prend note de mes offres de service.
    Je fais un tour dans le lycée et j'entre à la chapelle dont un infirmier m'ouvre la porte. Cet infirmier me dit être du diocèse de Sens et remplir les fonctions d'aumônier. Il me dit que le Saint Sacrement est dans le tabernacle, mais qu'il n'y a pas de lampe allumée pour je ne sais quelle raison.
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    19 septembre samedi. Nous recevons de Lucien une lettre datée du 10 septembre.
    Chers Parents, J'ai reçu ce matin toute une collection de lettres, 3 de Marie-Louise 1 de papa du 26, 1 de maman du 27 1 de mon camarade Toulon confiné dans le fort de Génicourt [ en marge ] près Verdun. Nous avons fait autant de kilomètres qu'Ambroise s'il était à Dinant. Nous sommes allés de Sedan à Namur (ou plus exactement une quinzaine de kil Sud-ouest), puis revenus par Chimay, Hirson, Vervins Epernay.
    L'aspect du pays presque toujours le même qu'en Belgique, des champs de blé et d'avoine. Les gerbes sont sur le terrain, c'est pour le bivouac. Des champs de betteraves, des vergers de pommiers, de petits bois, de larges ondulations.
    Tel était le champ de bataille de Charleroi, tel était celui de Sains-Richaumont (près de Guise), tel est celui-ci, [ note en bas de page région de Sézanne ] il y a néanmoins une modification ici



    ça et là on trouve des cadavres prussiens qu'on n'a pas eu le temps d'enterrer, car nous fêtons glorieusement les centenaires de 1814. Depuis 4 jours notre armée est engagée et avance, nous ne faisons plus les 30 à 40 k des jours de retraite. Avant-hier restés sur place, plutôt battus, hier nous avancions de 4 à 5 kilomètres. Aujourd'hui personnellement nous n'avons pas bougés, attachés à un bataillon d'avant-garde qui devait aller s'emparer d'un petit village. A la première crête, le bataillon ayant été arrêté, nous sommes restés dans le creux, séparés de notre bataillon par les points de chute d'une batterie d'obusiers qui envoyait une salve chaque quart d'heure. Voilà l'occupation de la matinée.
    A midi nous sommes partis faire des tranchées pour le bataillon et on nous a renvoyés à 500 m en arrière. C'est delà que je vous écris. Nous y resterons peut-être jusqu'à la nuit pour rentrer ensuite au village qui est derrière nous. Ce village qui a été pris et défendu par le 25ème de Cherbourg pendant 2 jours, est dans un état piteux.
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    La moitié des maisons n'a plus de toiture, de l'église il ne reste que les quatre murs et encore et néanmoins il reste des habitants dans le village. Ils ont du passer dans leurs caves de mauvaises heures. L'existence de la cie est relativement tranquille. Le capitaine passe par des alternatives de découragement et de dégout puis de confiance absolue.
    Chavagnac et moi essayons de le modérer et surtout de remonter le moral des hommes quand le capitaine leur a fait part de son dégout. Cochard vit dans l'insouciance. Le moral de nos sapeurs est bon, mais ils sont un peu lourds à remuer. Nous n'avons eu ni morts ni blessés et néanmoins nous avons dû en évacuer une quinzaine pas d'épidémie contagieuse heureusement, mal aux pieds, fatigue. Pour moi, je supporte très vaillamment ce régime un peu rude, j'ai eu une extinction de voix qui le lendemain, s'est transformée en gros rhume. En trois jours il s'est guéri. L'alimentation n'est pas...



    mauvaise, mais où serions nous sans les boites de conserves que l'intendance fourni très largement et les poulets qui trainent partout. Pendant cinq jours le boeuf nous est arrivé avarié. D'ailleurs notre ambition n'est pas de trouver de la viande, mais plutôt le temps de faire une soupe avec des carottes, pommes de terre.... Notre cuisinier nous fait des bouillons de poulet merveilleux.
    J'ai écrit à Marie-Louise que j'avais rencontré quelques trainards du 84, Ambroise ne s'y trouvait pas heureusement, ni personne de sa compagnie. Nous avons toujours le 1er corps à notre gauche et j'aperçois parfois le 27 et le 41 d'artillerie, mais pas les régiments d'infanterie.
    J'ai aperçu des aumôniers, d'abord dans une grande ferme où était installée l'ambulance de la division et hier j'en ai vu passer un à cheval. Je ne suis pas allé à la messe depuis le 15 août à Floing (près Sedan). Nous avons passé en vainqueurs à Champeaubert, suivant de 8h la garde prussienne. J'ai récolté 2 trainards dans un fossé, je les ai faits prisonniers.
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    20 Septembre. Dimanche.
    A la messe de 8 heures, sermon par l'abbé Yauch. Partant de l'évangile du jour, quiconque selon s'élève sera abaissé et la suite, l'orateur montre la réalisation de cette parole dans N S [ Notre Seigneur ] lui-même et dans sa croix. Ce n'était pas une petite entreprise que de faire adorer un Dieu crucifié et pourtant la croix, instrument de supplice infamant est devenu l'objet de la vénération des hommes. Invention de la Sainte Croix par Ste Hélène, exaltation de la Sainte Croix par Héraclius qui la reprend aux Perses. Il faut s'humilier avec Jésus sur la croix pour être exalté avec lui dans le paradis.
    Louise vient déjeuner avec nous et passe la journée. Elle pense qu'il lui faudra bientôt retourner en Tunisie pour surveiller l'exploitation de Zafrane dont le garde va être appelé. Henri Brunet attend de savoir s'il viendra en France avec ses tirailleurs ou s'il restera à Tunis.

    21 Septembre. Lundi.
    Les dépêches annoncent le bombardement et l'incendie de la



    cathédrale de Reims. Au nord de Reims en aval de Soissons, les Allemands ont attaqué avec des effectifs supérieurs.
    Le gouvernement fait une enquête pour protester contre le bombardement de la cathédrale, mais on ne dit pas qu'il ait envoyé des effectifs supérieurs pour tourner les Allemands. Cela vaudrait mieux que de faire des discours. Si l'armée de Paris s'avançait franchement sur Péronne et St Quentin, les Prussiens qui sont à Laon commenceraient à déguerpir. C'est un crime de garder tant d'hommes loin du terrain de l'action. La vie des jeunes hommes de l'active est aussi précieuse que celle des territoriaux, d'ailleurs plus on mettra de monde au travail et moins le succès coutera cher. Lors de la guerre des Boers on nous a dit : il faut garder toutes nos forces pour la défense nationale. Aujourd'hui la France est envahie, pour qui garde-t-on l'armée territoriale ? C'est elle qui devrait donner, l'active devrait se ménager, pour porter la guerre sur le pays de l'ennemi.
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    Le gouvernement annonce qu'il va modifier les conditions de la correspondance. Quel nouveau truc va t-il inventer. Probablement une nouvelle diminution de l'indépendance des Français.

    22 Septembre Mardi. Nous sommes hier à Chevilly pour voir la famille Lanson. En gare des Aubrais je rencontre le père Gilet attaché à l'ambulance de la gare.
    Mardi soir je suis invité à aller passer la nuit au lycée. Dans la journée j'étais allé à St Marceau voir mes locataires. Le gendre de la veuve Lorin est retourné à Paris, il va repasser le conseil de révision.
    Il y a huit blessés dans la salle que je veille. Le plus dangereusement atteint est un zouave, fracture de la jambe droite et pneumonie. Il y a aussi un petit conducteur d'auto blessé d'un éclat d'obus au dessus du genou. Sa voiture a été détruite, le général qui était dedans n'a rien eu, le jeune chauffeur était occupé à mettre le moteur entrain.



    Dans la nuit un blessé meurt, il avait deux balles dans la tête, très agité, difficile à maintenir, on lui fait une piqure pour le calmer. Il dort, il ronfle, puis l'infirmier ne l'entendant plus, le touche, il était mort. L'infirmier cherche son collègue pour descendre le corps à l'amphithéâtre. Je ne sais à quelle heure il l'aura retrouvé, moi je ne me suis pas proposé pour faire la corvée. Mon zouave est très affaibli. Son voisin âgé de 31 ans a reçu la visite de sa femme venue de Lille. Le petit chauffeur d'auto a reçu aussi la visite d'une soeur ou d'une amie. Tous ces blessés, de blessure légère sont gâtés par les femmes. Ils ne craignent plus la mort et ne pensent qu'à jouir du repos complet que leur donne l'ambulance.
    J'ai reçu une carte du père Hugueny. Il me remercie des renseignements que je lui ai donnés sur Ambroise et sur le frère Delos blessé.
    Nous recevons aussi une lettre de Marie-Louise. Elle a des nouvelles de Lucien du 13 septembre. Il a hérité d'un révolver
  • prussien. Voici des indications précises sur l'itinéraire de Lucien après retraite de Belgique. Chimay, Hirson, Vervins, Epernay. Delà en chemin de fer jusqu'à Vimpelles petite station entre Montereau et Nogent/Seine.
    Confection de tranchées à Nogent/Seine. [ en marge Soligny les Etangs ] Le lendemain voyage en camions automobiles de Nogent à Sézanne. Le général de la division ménage sa compagnie de sapeurs pour les travaux.

    23 Mercredi. La dépêche d'aujourd'hui indique que les Prussiens ne perdent pas leur temps. Ils se sont fortifiés partout. En particulier, ils ont utilisé les forts du nord de Reims que les Français avaient négligé. Ft de la Dampelle Pompelle, ft Nogent-l'Abesse (c'est delà qu'ils ont bombardé la cathédrale) ft Witry fort de Fresnes ft Brinon Brimont, ft St-Thierry.
    La destruction de la cathédrale de Reims me semble un symbole de la séparation de l'église et de la France.



    Le canon prussien a fait sur la pierre ce que la loi dite de séparation a fait dans l'âme des Français. Briand ne peut faire de reproches à Guillaume. De quel droit un gouvt [ gouvernement ] athée s'opposerait-il à la destruction des églises ?  Viviani a déclaré qu'on n'avait pas besoin de Dieu pour fonder la morale. Les principes courants, les préceptes affirmés par tous les honnêtes gens, en voila assez pour la durée de l'enfance. Un autre (c'est Barthou je crois) a dit que les maitres d'écoles ne devaient pas parler des devoirs de l'homme envers Dieu. Poincaré, a parlé de la France éternelle, usurpant un titre qui n'appartient qu'à Dieu. La France a donc officiellement cessé d'être la fille ainée de l'église. Elle a renié son baptême de Reims. La ruine matérielle est irréparable, la ruine morale peut heureusement se réparer par un nouveau baptême.

    24 Septembre. Jeudi - Une longue dépêche pour expliquer aux Français pourquoi la bataille de l'Aisne dure si longtemps
  • c'est que les prussiens avaient préparé leur terrain, tandis que la Marne, ils ne s'attendaient pas à rencontrer toute l'armée française. Et puis sur l'Aisne ils ont eu des gros canons et ils mettent des fils de fer.
    La conclusion qu'on pourrait tirer delà, c'est que le généralissime avait oublié de mettre des fils de fer quand les Prussiens en dix jours se sont avancés de Charleroi à Compiègne.
    Et puis ce n'est pas chic de débiner la bataille de la Marne, de la présenter maintenant comme une surprise quand on en a fait un si grand éloge il y a quinze jours.
    La dépêche nous dit qu'il faut nous attendre à des batailles comme celles de Mandchourie qui duraient quinze jours ou trois semaines. Elle ajoute cette phrase, que je recopie textuellement : la puissance exceptionnelle du matériel d'artillerie lourde allemande et du canon de 75 français, donne une valeur particulière aux fortifications passagères



    que les deux adversaires ont établies. Il s'agit donc de conquérir des lignes retranchées successives précédées de réseaux de fil de fer, avec mitrailleuses en canonnières.
    Dans ces conditions, la progression ne peut-être que lente et il arrive très fréquemment que les attaques ne progressent que de 500 m à 1k par jour.
    Je veille au lycée pour la seconde fois dans la nuit de jeudi à vendredi

    25 Septembre. Vendredi - La dépêche d'hier soir 15 heures dit que entre Somme et Oise nos troupes ont progressé dans la direction de Roye (entre Montdidier et Ham), qu'un détachement est entré à Péronne et s'y est maintenu malgré de vives attaques de l'ennemi.
    Une autre dépêche du 25 dit que la bataille se développe à notre gauche et se calme au centre. C'est évidemment le mouvement tournant de notre gauche, attendu depuis plusieurs jours. Puisse- t-il être assez important pour menacer sérieusement les communications de l'ennemi avec la Belgique par Maubeuge
  • .

    et lui faire lâcher ainsi sa position de Laon.
    26 Septembre. Samedi. Mauvaises nouvelles, notre aile gauche trouve devant elle des forces allemandes considérables qui l'obligent à reculer à l'ouest de Noyon. Les Allemands venant de Thiancourt sont allés jusqu'à St-Mihiel dont ils ont canonné les forts de Paroches
    (Rive gauche) et du camp des romains (rive droite). Nos garnisons de Toul et de Nancy ont détaché des troupes pour les refouler au nord du Rupt de Mad
    A l'est de Reims nous progressons un peu. Comme je disais en lisant la dépêche que les Allemands regagnaient sur nous, quelqu'un me répondit : il faut voir la Fin ??
    Louise est venue nous voir. Elle doit partir mardi matin pour Marseille et Zafrane. Elle a reçu une lettre de l'oncle Henri. Il est en France avec ses tirailleurs depuis le 17 septembre.
    La Croix ne nous est pas parvenue aujourd'hui samedi.



    Lettre d' Ambroise du 28 août 1914 [ Lien vers la correspondance ]
    Reçue le 6 septembre
    Envoyez moi des chaussettes 1 p
    des enveloppes sans adresse
    j'ai reçu votre éponge
    Mes chers Parents. La correspondance devient difficile et mouvementée comme la vie elle-même. On nous donnait un bulletin relatant les nouvelles de la guerre. Il ne vient plus. Depuis le samedi 21 ou 22 nous avons passé une semaine affreuse, c'est le mot.
    N'ayant plus de nuit, on marchait couramment jusqu'à minuit, pour repartir à 4 heures. Ou bien départ à 1h 11h même. Une autre fois ça été les avant- postes. Toute la nuit derrière une haie, l'ennemie à 1500 mètres. Le lendemain la bataille. (x) j'ai vu le feu dimanche 23, date que je n'oublie pas, c'est un point de repère de mon calendrier. Il n'y a eu qu'un blessé à ma compagnie mais dans mon escouade un homme est disparu, incapable de poursuivre notre marche désordonnée. Moi-même j'ai fini hier par une sorte de crise de nerfs qui m'a couché sur le coté de la route. Mais ce n'a rien été. Je suis reparti allègrement le matin. Nous avons fait bombance de cidre, vin, lapins et poulets. Ça nous remet des jours passés où nous mangions mélancoliquement nos biscuits de réserve en errant dans les bois à la recherche de notre compagnie. Combien de kilomètres avons-nous faits ? 30 à 40 par jours. Un moment fut critique entre tous. Il est momentanément passé. Quant au combat, il fut court pour nous. Nous étions sur une croupe repérés par l'artillerie. Les shrapnells sont venus éclater sur notre dos. On connait leur chanson, ils font bien plus de bruit que de mal, mais ce bruit est démoralisant et couche tous les hommes à terre. Pour moi je ne me vante de rien. Ils m'ont fait peu d'effet en ce sens qu'ils ne m'ôtent pas mes moyens d'action au contraire ils m'avaient surexcité. Après cela ce fut un combat d'artillerie. Un groupe français envoyait ses douze coups à la volée cinq ou six fois par minute aux Allemands, par-dessus un ample vallon où se trouvait un village. Nous étions sous la croisée des obus amis et ennemis et le pauvre village en a flambé. (x). Je crains fort que le frère Delos du 127em, blessé ne soir restédans cette fournaise. Enfin la population est en déroute. J'ai couché l'autre jour dans une voiture...
    (x) il y avait une ambulance dans un couvent.
  • de Belges. Ils m'ont donné le café le lendemain au départ, je me demande si je ne vais pas voir Lucien car notre armée et celle dont il me disait faire partie vont certainement se réunir. Avez-vous des nouvelles de la guerre. Nous ne savons rien du tout, ni de ce que font Anglais, Russes etc..
    J'ai reçu une lettre de papa avec sa petite poésie, j'aime bien les lettres de maman. Pendant les marches, j'essaye de sortir de la guerre de penser. Je pense au Saulchoir, au bon Dieu, à vous. Plus moyen de communier.
    Je communie par mes souffrances à celles de N. Seigneur. Voilà toutes mes méditations. Je vous embrasse bien. Donnez de mes nouvelles à Lucien, à Marie-Louise, au Saulchoir. Fr Ignace


    (x) St Gérard 1 800 habitants à 20k au S.SO de Namur et à 20k au S.E de Falisolles, à la jonction de deux petits ruisseaux qui se réunissent pour aller verser leurs eaux dans la Meuse entre Dinant et Namur.
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