Lettre d'Ambroise Soudé, signée Frère Ignace, à ses parents, Berthe et Henri, sans lieu (20 août [1914]).
Transcription
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    [ signe religieux signifiant Jésus ] 84 Rt d'Infanterie 11e Cie I Corps 20 août [ 1914 ]
    Mes chers parents

    Il me semble que je reçois bien toutes vos lettres. En est-il de même pour vous ? A la rigueur je pourrais me passer de vos nouvelles car vous ne courrez aucun danger. Mais vs vs inquiétez a x juste titre sur mon compte. En ce moment ns s. tt [ nous sommes tout ] à fait à l'abri. Voici co [ comme ] s'est passé notre progression en avant : les 7 premiers jours étapes régulières et courtes de 15 à 20 kil. Puis repos dans un pays splendide où ns trouvions en abondance l'eau et les vivres. Cela a duré plusieurs jours. Soudain coup de tampon. trois fois de suite marche de nuit, longue étape, progression rapide. C'est à la fin de cette période que j'ai perdu mon régiment pendant 24 h. Je vous dirai comment. Depuis ce temps ns sommes face à l'ennemi. Il ne bouge pas plus que nous. Nous s. [ sommes ] occupés aujourd'hui à nettoyer les armes et à laver le linge. Je vais laver mon caleçon et grâce au beau soleil, je le remettrai ce soir. Mais ns s. [ nous sommes ] constamment dérangés par les aéroplanes - allemands ?? Français ? On se cache en tte circonstance. C'est + sûr. Avant-hier, nous en avons pris un. Les mitrailleuses ont brûlé 850 cartouches pr en placer 8 dans le
    [ En marge ] J'ai reçu le 19 votre lettre du 15. Bonne mère je suis content de vs savoir courageuse. Lucien encore moins en avant que moi n'a rien à craindre pr l'instant. Marie Louise peut être tranquille. - Ah, j'oubliais de vs dire que la Ste Vierge a guéri mon pied au cours de la marche de 40kil que j'ai faite le jour de sa fête. Je vous embrasse. fr. Ignace
  • moteur et le pilote. Nous sommes maintenant dans le pays où j'étais l'an dernier, mais pas ds la même région, co vs [ comme vous ] supposez. Le 15 août il y a eu un combat assez vif [ Dinant ] . Le régiment engagé comptait 5 fr [ frères ] Dominicains. J'en ai revu trois. Ils ignoraient le sort des 2 autres. Ce fut un succès malgré les mitrailleuses allemandes très redoutables. Notre artillerie les a réduites. Ns avons un peu partt des batteries qui guettent l'ennemi. L'autre jour, elles voyaient construire un pont - quand il fut terminé - vlan - un obus au milieu. Ouvrage à refaire.
    Quant aux petits fantassins, les jours où ils ne marchent pas, ils sont occupés au service de garde. Cela revient à peu près une nuit sur deux sinon plus. Depuis quatre jours, je n'ai dormi tranquille qu'une fois ; les autres c'était entre chaque heure l'obligation d'assurer la relève des sentinelles. On dort très bien dans la paille ou le foin pourvu qu'on en ait épais sur soi. Cette nuit j'étais installé sous un toit sans cloisonnement latéral, en appentis contre un pignon de ferme. Jamais encore je n'ai mieux dormi. La nuit était claire. J'ai trop bien dormi car le capitaine est venu faire une ronde et a constaté que le chef de garde dormait !!! J'ai récolté un savon et un tour de garde supplémentaire. Un de+ ou de moins. Je ne les compte plus. Tous ces villages st exaspérants.
  • Ils ont ts des issues à garder. Je vous avais écrit que j'étais menacé d'un abcès au pied. La menace était claire, certaine. Je me suis muni de teinture d'iode et j'en ai mis. Néanmoins j'ai dû caler le lendemain et mettre mon sac et moi en voiture. A la visite mon ami Bole m'a dit d'aller en voiture le lendemain. C'est qq. fois mauvais d'avoir des amis. Il m'indiqua une voiture (à minuit). Nous étions 5 ou 6 avec une 30e de sacs. Je m'y endormis tranquillement. Soudain : « T le monde en bas » Pourquoi ? Le cheval est malade, il faudra marcher à pied. En route. A 3 kil., arrêt. L'artillerie passe devant. Je demande. Et le 84 ? Réponse : Ns ne le suivons pas, ns allons au ravitaillement du Corps d'Armée. J'eus l'intention rattraper le 84 en avance sur nous d'1 h, mais c'était imprudent car nul ne pouvait dire son point de ralliement. Alors, puisque le convoi le ravitaillerait un jour ou l'autre, mieux valait suivre les voitures. Quelle promenade. Refaire en sens inverse la route de la veille et plus loin encore vers un pays nouveau. Marche de 5h à 10h. Arrivé enfin ! Que de voitures de ttes sortes. J'allai au village où le curé me donna un bon déjeuner. On repart à 14h, à pied puisque le cheval est fourbu. Le pèlerinage dure jusqu'à 7h. On attend des ordres. Il commence à pleuvoir à verse et tt semble se disposer
  • pour que nous passions là la nuit ! Que c'est triste ces nuits dehors ! A 8h, un ordre. En avant. Encore 9 kil. à faire dans la nuit, sans lanterne à travers bois, le terrain très accidenté, route peu connue. Cela a duré jusqu'à minuit ½. J'étais en compagnie d'un séminariste, qui me passait de temps en temps son vélo. A minuit ½ , arrivé dans un village bondé. On a trouvé une grange avec une ½ botte de paille par homme. Brrr. Ma capote, mon pantalon tt trempés. Réveil à 4h pour repartir à la recherche du 84. Ce fut mon 15 août, ma fête d'Assomption. Le régiment fut retrouvé.
    Hier j'ai assisté à une chose superbe. Le régiment logé avec le nôtre a un aumônier. J'entrai à l'église, c'était le Salut. L'église pleine de soldats debout. A terre des jonchées de paille. On a dû y coucher. Et ces soldats disaient le chapelet, chantaient, priaient. Les séminaristes étaient à l'harmonium pr entrainer.
    Il y a longtemps que je n'ai pu communier. Ce sera je crois pr demain. Ce n'est pas facile ! ns avons réveil à 3h.
    Je vous redis encore de ne plus m'envoyer de timbres sur les enveloppes ni de cartes postales illustrées.
    Et je vs embrasse affectueusement. J'ai eu un mot de Lucien mais av son départ. Depuis plus rien.

    [note_archiviste :Sur la copie de la lettre] *Note. Ceci a été écrit le 20 août. Or le dimanche 23 août Lucien et Ambroise allaient au feu pour la première fois. Ambroise à St. Gérard et Ambroise à Falisolle. C'est ce que les allemands appellent la bataille de Sambre et Meuse et nous bataille de Charleroi parce que le grand coup y fut donné sur la rive gauche de la Sambre.
  • Copie de l'original.
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