En 1898 est construit un cirque démontable place Gambetta qui s'installera finalement de manière permanente boulevard Rocheplatte jusqu'en 1912. Il sera détruit pour devenir L'Alhambra.
Contexte
Poussés par la démocratisation des loisirs entreprise par la Troisième République, les cirques trouvent progressivement leur place dans le paysage culturel français, afin de compléter l’offre auparavant concentrée par le théâtre.
Déjà présent dans des villes moyennes comme Reims, c’est au tour de la Municipalité d’Orléans de réfléchir à l’utilité d’installer un cirque en ville. À la fin du XIXe siècle, la ville ne dispose pas d’établissement de grande capacité d’accueil du public.
C’est en 1898, que deux projets d’édification d’un cirque place Gambetta [1] sont proposés par lettres à la Municipalité d’Orléans. L’un, par Edmond Guillon fils, entrepreneur, installé rue Eugène-Vignat, exprime le souhait de bâtir un cirque permanent ; l’autre, par Ernest Paul Crosnier, entrepreneur 32 boulevard Alexandre-Martin, qui présente la construction d’un cirque démontable.
Le débat est donc lancé en séance du conseil municipal du 7 novembre 1898 : faut-il installer un cirque permanent place Gambetta ? La commission des travaux rend un rapport défavorable. Les raisons avancées sont le manque de confiance en la durabilité du ciment armé, prévu pour l’édification du bâtiment, le risque de concurrence sérieuse pour les troupes de cirque venant lors de la Foire de juin et celle envers le Théâtre municipal. Certain membres du conseil municipal trouvent problématique la concession du terrain pour plus de 30 ans.
Cependant, quelques voix discordantes s’élèvent en faveur de l’édification d’un bâtiment esthétique permanent, « un beau monument » exprime le Docteur Halmagrand, refusant l’argument de la concurrence envers le théâtre, qui ne devrait pas représenter l’apanage de la culture des Orléanais.
Pour autant, la Municipalité approuve le projet de convention avec Ernest Crosnier pour l’édification d’un cirque démontable.
Naissance d’un cirque démontable…
Le projet prévoit une concession pour 20 ans d’avoir privilège de la construction du cirque lors de la Foire annuelle de juin place Gambetta. Ceint d’un tour de bois et d’une structure en métal, les loges des artistes sont construites au dessus des écuries, afin de permettre un gain de place. Il devra être démontée et réinstallée au croisement de la rue Bel-Air et la rue Eugène Vignat en dehors de cette période. Le cirque, haut de 16,50 mètres, d’un diamètre de 36 mètres et doté de 2 500 places, sera loué à des sociétés qui y donneront des fêtes et spectacles. La première exploitation du cirque est assurée par le cirque Vinella, à partir du 4 mai 1899.
… devenu cirque permanent boulevard Rocheplatte
Mais, contrairement à l’emplacement prévu lors du contrat passé avec la municipalité, Ernest Crosnier et son associé Henri-Armand Rossignol décident de louer l’emplacement 15 boulevard Rocheplatte, à l’angle de la rue Loigny, non loin de la place Gambetta, et d’y installer le cirque dès 1899 pour l’hiver. En novembre 1900, et à la demande du cirque Régétoff occupant de l’enceinte à cette période, les deux entrepreneurs sollicitent la Municipalité pour s’installer de façon permanente à cet emplacement, ce qui leur est accordé.
À la lisière du centre-ville, le cirque s’installe dans un quartier peu dense, entouré de quelques maisons, de parcelles non construites, magasins de gros et chantiers. Doté de deux buvettes, l’endroit est cependant stratégique, car il a pour avantage d’être proche de la place Gambetta et du centre-ville, tout en évitant la lourdeur d’un changement d’emplacement annuel. Un choix qui ne sera pas sans conséquence pour l’avenir de l’institution.
L’adresse devient 31 boulevard Rocheplatte entre 1905 et 1906[2].
Les spectacles
Baptisé « Nouveau cirque », il connait rapidement un succès populaire, comme en attestent les nombreux éloges reportés dans le Journal du Loiret. Fort d’une programmation diversifiée tout au long de l’année, le cirque accueille par exemple le club de gymnastique de la ville d’Orléans La Guêpe, des représentations du clown Footit en 1899 ou encore des exhibitions de troupes comme celle de l’ex roi du Dahomey le 22 octobre de la même année. L’institution se transforme pour accueillir une salle de patinage et des évènements uniques tels qu’une course de taureau sans mise à mort durant l’année 1902.
Mais c’est durant la période de la Foire de juin, organisée sur le mail, que le Nouveau Cirque vi ses moments forts. Il accueille les plus grands cirques de cette période tels que la troupe impériale japonaise ou encore le cirque Malden et son spectacle « Malden’s Attraction ». Installé au Nouveau Cirque en 1900, 1903 et 1905, la troupe propose des attractions décrites comme des plus « sensationnelles » selon le Journal du Loiret, telle que le Double Loop en 1903, dans lequel deux cyclistes s’élancent dans un looping de 8 mètres de diamètre.
Durant l'Exposition universelle de Paris de 1900, les cirques préfèrent s’installer à Paris ou à l’étranger plutôt que de se produire en province. La dynamique du cirque est alors mise à mal.
Cependant, les troupes se succèdent les années suivantes, emmenant avec elles l’admiration du public orléanais.
Les réunions politiques et syndicales
L’institution revêt rapidement une importance dans le paysage local servant de salle de réunion pour différents syndicats de commerce ou de lieu de revendications politiques. En 1902 s’y tiens une conférence en faveur du mouvement Boers[3]. Des témoignages de solidarité qui se font non sans quelques bousculades comme le reporte le conseil municipal du 29 mai. La même années se sont tenues des réunions dites des « Ecoles libres », en faveur de l’enseignement catholique en France faisant suite à de nombreuse fermetures d’écoles privées tenue par des congrégations, par décret du gouvernement d’Emile Combes, président du conseil, ministre de l’intérieur et des cultes.
Un cirque en difficultés
Cependant, la présence du cirque ne fait pas l’unanimité auprès des riverains. Dès décembre 1900, une pétition signée par les habitants demande à la municipalité de ne plus autoriser aux propriétaires l’autorisation de rester de façon permanente boulevard Rocheplatte.
Des questions de salubrité sont évoquées lors du conseil municipale du 29 mai 1902, suite à un mouvement de maintien de l’ordre difficile lors de la conférence des Boers. Il est fait rapport d’un état de délabrement important du bâtiment et d’un risque élevé d’incendie. « Il ne faut pas exposer nos Concitoyens à une deuxième édition de la catastrophe du Bazar de la Charité ! » clame M. Pinault durant la séance, faisant référence à l’incendie meurtrier du bazar de Paris en mai 1897. Est pointé du doigt l’emplacement permanent du cirque, qui n’était pas prévu initialement à cet endroit, entrainant l’insuffisance de place des voies de dégagement de la foule ainsi que des inconvénients d’odeur et de bruit pour le voisinage. Des questions renvoyées pour examen à la commission des travaux.
En janvier 1903, dans l’incapacité financière de démanteler et de reconstruire leur cirque chaque année, les entrepreneurs Crosnier et Rossignol font une demande auprès du Maire pour implanter de façon permanente et durant 6 ans le cirque place Gambetta.
Celle-ci est rejetée lors du conseil municipal du 3 juin 1903 et les autorités engagent une procédure de résiliation de la concession du privilège de construction du cirque pour la Foire de juin place Gambetta. Celle-ci sera actée durant la séance du conseil le 29 janvier 1904. Il a l’interdiction de toute représentation de cirque entre le 1er avril et le 30 juillet de chaque année et théâtrale pendant la saison des représentations du théâtre municipal.
Le collectif Crosnier et Rossignol restent propriétaire du cirque. Mais leur accord ne survit pas à cette décision et la société est dissoute à compter du 1er avril 1904.
L’annonce de la vente par adjudication du cirque par le liquidateur agréé M. Duprez, apparait dans le Journal du Loiret pour le 28 mai 1904, moyennant une somme de 45 000 francs. Celui-ci fait en parallèle une offre de vente à la ville pour 25 000 francs. Le maire la refuse estimant qu’elle « ne présente pas d’avantage en rapport avec la dépense ».
Le cirque semble avoir été racheté par son ancien propriétaire, Paul Crosnier en 1906.
Un renouveau de courte durée et fin du Nouveau Cirque
Progressivement, dès 1908, le Nouveau Cirque est occupé par la société parisienne Cinéma-Théâtre Pathé et accueille les représentations à succès du cinématographe. La salle donne rendez-vous au public de façon hebdomadaire avec les actualités Pathé-Journal.
L’établissement change une nouvelle fois d’orientation sous la direction de Maurice Ustin-Santerre pour devenir L’Alhambra Cinéma-Music-Hall-Théâtre le 31 août 1911. Cet orléanais installé 5 boulevard du Moulin–de-l’Hôpital, entrepreneur de spectacle et fournisseur de décors, notamment pour les représentations du théâtre municipal, remet à neuf le cirque délabré du boulevard Rocheplatte. Une rénovation saluée par le journaliste du Journal du Loiretlors de la grande première de réouverture. Les nouveaux sièges sont décrit comme confortables, les guichets coquets remplacent les anciens et la salle revêt des décors « grandioses ».
L’Alhambra programme des séances de cinéma avec Cinéma-Gaumont, du music-hall et des représentations diverses. Cette installation ne durera qu’une année. Le cirque est démoli en 1912, pour laisser place à « un établissement de premier ordre, tant par son luxe que par son confort moderne »[4]. La construction en pierre de style mauresque signe la fin du cirque en bois.
[1] Deux noms sont utilisés : place Gambetta et place Bannier.
[2] Annuaire général d’Orléans et des communes du Loiret, 1906, p 152.
[3]Les Boers sont les descendant des colons néerlandais, anglais et français arrivés en Afrique du Sud au XVIIe et XVIIIe siècle et regroupés dans deux républiques indépendantes, en guerre contre l’Empire britannique entre 1899 et 1902. En partis regroupés dans des camps de concentrations insalubres par les autorités britanniques, la population boers est soutenue par une partie de la population européenne, notamment en France par plusieurs démonstration de soutiens dans leur lutte pour l’indépendance.
[4] Journal du Loiret, 21 août 1911.