Sadi Carnot, Président de la République, est l'invité des fêtes johanniques 1891. A cette occasion, le 7 mai 1891, une statue, réalisée par l'Orléanais Alfred Lanson et représentant Lazare Carnot, grande figure de la Révolution française, et grand-père du président, est installée sur le boulevard Alexandre-Martin. Quelques années plus tard, celle-ci est transférée dans la Salle des fêtes du Campo Santo. Il semble qu'elle soit détruite accidentellement en 1923 alors qu'on la retire de cet édifice.
Décorer la ville pour la venue de Sadi Carnot, Président de la République
En mars 1891, le Conseil municipal d'Orléans décide d'inviter Sadi Carnot, Président de la République, aux fêtes de Jeanne d'Arc. Dans cette optique, un crédit de 50 000 francs est voté pour décorer la ville et préparer un accueil sompteux. Il semble que deux statues soient commandées au sculpteur orléanais Alfred Lanson (1851-1898). En effet, en séance du 25 mars 1891, le docteur Halmagrand interroge Emile Rabourdin-Grivot, maire d'Orléans, sur la nécessité d'allouer un crédit de 5 000 francs pour deux statues. Il observe que ces "deux statues ne sont peut-être pas indispensables à la décoration de la Ville et demande si elles seraient conservées après les fêtes." Le maire répond qu'elles dureront une dizaine d'années, que le prix ne représente que la matière première et la main-d'oeuvre, Alfred Lanson, le sculpteur, ne demandant rien pour son travail.
Néanmoins, il semble qu'Alfred Lanson n'exécute qu'une statue : un monument à la gloire de Lazare Carnot (1753-1823), figure emblématique de la Révolution française à qui l'on attribue les surnoms de « Grand Carnot » et d'« organisateur de la Victoire », et qui n'est autre que le grand-père de Sadi Carnot. En effet, en séance du juin 1891, alors que les fêtes johanniques sont déjà passées, il est rapporté en conseil municipal que la dépense pour l'érection de la statut de Carnot dépasse l'estimation faite par la commission des fêtes, estimation qui se basait pourtant sur celle du statuaire. Le conseil municipal s'interroge alors sur le fait d'effectuer le paiement. Il n'y a alors aucune allusion à une deuxième statue et les lacunes d'archives ne permettent pas d'éclaircir ce point.
On note par ailleurs dans le Journal du Loiret du 2 mai 1891, qu'un Orléanais, habitant de la place Bannier conteste le choix de la localisation à l'entrée du boulevard Alexandre-Martin et lui préfèrerait l'entrée du mail Rocheplatte.
L'installation à la veille des fêtes johanniques 1891
A la veille des fêtes de Jeanne d'Arc, le Journal du Loiret du 7 mai 1891 évoque les préparatifs et les décorations mises en place pour la fête et l'accueil de Sadi Carnot. La statue de Lazare Carnot est notamment décrite en ces termes :
Le groupe de M. Lanson représente Carnot (Lazare) méditant l'organisation de la victoire. Le ministre de la Convention se tient debout, une main appuyée sur un plan reposant sur un coin de table ; l'autre portée à son menton, dans une attitude méditative. A ses pieds sont un canon et des armes brisées. Il est vêtu de l'habit brodé, la tête nue. Sur son visage, fait d'après des portraits du temps et complètement rasé, on retrouve les traits de son petit-fils, moins la barbe.
Derrière lui, le dominant de toute la hauteur du buste, un génie ailé, d'un très beau mouvement, un bras étendu autour de sa tête, semble l'inspirer ou suivre, sur son visage, les traces de l'inspiration. L'ensemble est habilement disposé, bien pondéré et l'effet puissamment expressif.
Les personnages ont quatre mètres de hauteur ; ils sont, malgré ces proportions colossales, traités avec soin ; les moindres détails n'ont pas été négligés. Le groupe repose sur un piédestal de quatre mètres de haut, orné de culasses de canon, de guirlandes de feuillages, d'écussons, enfin, d'une couronne de lauriers du plus bel effet. L'oeuvre est, en somme, digne en tous points, du ciseau auquel l'art français doit déjà de si belles oeuvres. On y sent la sûreté de la main, non moins que la vigueur et la netteté de la conception.
Dans le numéro du lendemain, on apprend que la statue a été placée sur son socle, boulevard Alexandre-Martin, dans la nuit du 7 au 8 mai, entre 20 heures et 3 heures du matin. La musique "Coeurs unis" venue d'Etampes vient jouer devant la statue alors qu'au même moment les échafaudages sont retirés. Un peu plus tard, les ouvriers peignent le soubassement en brun et l'inscription "A Lazare Carnot - Reconnaissance" alors que les jardiniers engazonnent le pourtour.
A 13 heures, lorsque le Président Sadi Carnot arrive en gare, le maire d'Orléans Emile Rabourdin-Grivot indique dans son discours que la fête traditionnelle du 8 mai sera l'occasion de célébrer la mémoire de Carnot et celle de Jeanne d'Arc, "deux noms qui personnifient le culte inébranlable de la patrie et son triomphe dans les jours les plus critiques de son histoire." Le Journal du Loiret indique que lorsque le cortège présidentiel passe devant le monument dédié à Lazare Carnot, autour duquel sont postés deux batteries du 30e d'artillerie, Sadi Carnot salue la statue de son aïeul.
L'offre du sculpteur Gustave Lanson à la Ville d'Orléans
En séance du Conseil municipal du 1er juin 1893 , lecture est faite d'une lettre de Gustave Lanson. Ce dernier propose de céder à la Ville sa statue de marbre pour une somme de 10 000 francs, moyennant une somme équivalente allouée parallèlement par l'Etat. La municipalité repousse cette offre.
Un an plus tard, en séance du 4 juillet 1894 , il est à nouveau question de la statue de Lazare Carnot. A cette époque, la Ville d'Orléans se porte acquéreur du groupe L'Age de fer de Gustave Lanson. M. Courtin indique alors que la Ville "ne possède de M. Lanson que la statue de Lazare Carnot". Il précise que ce n'est pas une oeuvre durable, que située sur le boulevard Alexandre-Martin, il faudra envisager de la déplacer soit à la salle des fêtes soit ailleurs. Cependant, rien ne permet de préciser si la Ville était bien propriétaire de la statue de Lazare Carnot.
En novembre1894, à l'occasion de la discussion relative à l'emplacement choisi pour la statue de L'Age de Fer, le Conseil municipal évoque aussi le coût de la restauration du groupe représentant Lazare Carnot et pour laquelle Alfred Lanson demande 1 000 francs. La question est renvoyée à une date ultérieure.
Le déplacement vers la salle des fêtes dans le Campo Santo
En séance du 24 décembre 1894, alors qu'il est à nouveau question de l'installation de L'Age de fer, les élus votent le déplacement de la statue de Lazare Carnot dans la Salle des fêtes du Campo Santo. La restauration et le déplacement seront réalisés au frais du statuaire pour une somme de 700 francs. Si certains élus pensent que la statue risque de gêner et que l'emplacement choisi ne convient pas, d'autres indiquent que c'est le dernier sacrifice demandé à la ville. La discussion est serrée puisque le vote se conclut finalement par 14 voix pour le déplacement contre 12.
Le Journal du Loiret du 28 février 1895 relate l'événement : Le boulevard Alexandre-Martin est en train de perdre son plus bel ornement. On vient de descendre, de son piédestal, pour la transférer à la Salle des Fêtes, la statue de Lazare Carnot que les injures du temps menaçaient de transformer bientôt en une irréparable ruine.
L'année suivante, en séance du 24 février, est enregistrée une dépense pour la fourniture d'un socle. C'est à nouveau le Journal du Loiret qui nous permet par la suite d'obtenir des informations sur l'oeuvre. Ainsi, elle apparaît dans un article du 7 novembre 1897 relatif à la 68e Foire-exposition de la Société d'horticulture d'Orléans et du Loiret qui décrit les différents stands installés dans la salle des fêtes. On la croise encore dans différents articles intitulés "Orléans - Monuments curieux" rédigés au début des années 1910. Le 9 février 1914 , c'est un article relatif à une conférence royaliste qui décrit une scène durant laquelle Bernard de Vesins, membre de la Ligue d'Action française, se tourne vers la statue située au fond de la salle, pour déclarer que ce monument lui rappelle la résistance de la France durant la Révolution.
On sait que la statue est toujours en place en 1921 puisqu'il en est question dans un article du 31 octobre 1921 sur le Congrès régionaliste. Signe du temps qui passe sur l'aura de Lazare Carnot, le journaliste écrit d'ailleurs sobrement "grand général et poète médiocre". Le 27 octobre 1922 , la statue de Lazare Carnot semble faire partie de la mise en scène d'Edouard Gitton fils lors de la 88e exposition d'horticulture.
La disparition inexpliquée
En décembre 1923 , le destin de la statue de Lazare Carot est scellé lors d'une réunion du Comité d'organisation de la Foire-exposition. Sur proposition du premier adjoint au Maire, Vauquelin, il est décidé de déplacer la statue qui "encombre" la salle des fêtes et "désorganise" la Foire-exposition. A cette occasion, il est rappelé que lors des bals, le monument est "voilé" pour le cacher, preuve qu'il gêne. La discussion tourne alors autour de l'endroit qui peut l'accueillir : la salle des Pas-perdus de la bibliothèque municipale (dans l'ancien Evêché) ou encore la serre du Jardin des Plantes. Les frais du transport sont aussi sujet à discussion. La statue de Carnot ne semble plus être considérée comme une "oeuvre d'art" digne de ce nom.
Un an plus tard, à l'occasion du banquet donné en l'honneur de l'inauguration du Foyer des mutilés , Théophile Chollet, maire d'Orléans, déplore que cela ne se fasse sous la "protection" de la statue de "Lazare Carnot, dont la disparition est un mystère troublant". Les années suivantes d'autres articles évoquent, en passant, la statue disparue. Mais c'est un article de 1929 qui révèle que la statue a été brisée accidentellement lors de son déplacement, sans autres détails. Plus troublant, l'article parle de la maquette de l'oeuvre, en plâtre, et non de l'oeuvre, elle-même, en marbre. Cet aspect ressurgit aussi dans un article du 12 février 1933 intitulé "Notes d'histoire locale. De quelques statues oubliées".
On retrouve une dernière évocation de la statue en 1933 dans un article qui évoque la foire aux vins et le stand de Gris Meunier dans la salle des fêtes : "Au fond de la Salle, là où s'élevait autrefois la statue de Lazare Carnot - Le Père de la Victoire - et qui a été brisée on ne sait pourqoi, ni comment - s'alignent des bouteilles pleines de Gris-Meunier ".