Cahier d'Henri Soudé (27 septembre-2 décembre 1914).
Transcription
- 27 septembre. Dimanche.
Aujourd'hui les Orléanais ont eu un beau spectacle. Des anglais sont arrivés à la gare : les Ecossais avec leur petit bonnet leur jupe courte, leurs genoux à découvert et leurs gros bas sans oublier le petit ornement bizarre qu'ils portent devant et qui comprend deux petites queues de crin noir. Une bonne femme dans la rue de la République demandait si c'était ça les Indous.
Une batterie d'artillerie lourde des pièces de quatre ou cinq pouces d'une grande longueur trainées chacune par huit forts chevaux. Les chevaux ont du poil aux pattes ce qui les fait paraitre plus gros. Ils ont la robe kaki comme leurs maîtres les artilleurs.
On me dit qu'ils sont allés à l'Ile Arrault.
Je me demande ce que tout cela vient faire à Orléans. Ils sont bien loin des allemands. - Il est possible qu'ils veuillent constituer ici une armée avec les troupes tirées de toutes leurs colonies.
Tout cela n'est pas gai pour nous.
C'est bien humiliant pour la France de se mettre ainsi à la remorque des Anglais. Quand les armées française et allemande se seront éreintées l'une contre l'autre alors l'armée anglaise restera maitresse du terrain et posera ses conditions à tout le monde.
Si le gouvernement français avait un peu de coeur il ferait marcher toutes nos troupes de façon à expulser les allemands tout de suite et alors les anglais n'auraient plus prétexte de s'installer chez nous. Ils iraient en Hollande ou en Danemark mais pas chez nous.
Pas de lettre d'Ambroise depuis le 28 aout. C'est inquiétant.
Aujourd'hui j'ai eu quatre messes : 6h 8h à St Paterne. M. Hugé nous a parlé du Rosaire (St Dominique et les Albigeois, Pie V et Lépante, Léon XIII et le mois d'octobre p. le Rosaire, 10h à la Cathédrale et midi moins le quart à la Chapelle du Lycée. C'est un gros prêtre du diocèse de Sens infirmier de l'Hôpital du Lycée qui remplit les fonctions d'aumônier. Il a une voix de stentor. Pour nourrir les chants il avait fait venir un groupe de jeunes filles de la Grande Providence. Une quarantaine de blessés assistait à la messe et plusieurs dames. Je n'étais pas entré dans cette chapelle où j'ai fait ma 1ère communion depuis ma sortie du Lycée en 1875. Je l'ai retrouvée telle que je l'avais laissée avec les mêmes peintures des murs du Choeur.
L'aumônier du Lycée est mort l'année dernière. Il n'avait pas été remplacé. C'est dans ses appartements qu'on va rouvrir les cours de St Cyr et de Polytechnique la semaine prochaine. - car tous les dortoirs toutes les classes et toutes les études dont prises par l'Hôpital.
28 Septembre. Lundi.
J'ai passé la nuit au lycée pour veiller la Salle A. 28. Le zouave Diemunch aura bien de la peine à s'en tirer. Ce n'est pas la fracture de sa cuisse droite c'est la pneumonie qui l'emporte. On lui a donné un ballon d'oxygène que je lui ai fait respirer à plusieurs reprises. Je n'ai pas remarqué d'effet considérable de cet oxygène. Je lui ai donné du lait chaud qu'il a bu avec plaisir il a sué abondamment et uriné de même. Je voulais le faire changer de chemise et de taie d'oreiller mais le médecin de garde s'y est opposé disant que ces malades là expiraient souvent quand on les changeait de linge.
Sur le registre des entrées du lycée j'ai trouvé un soldat du 84ème de ligne entré le 5 mort le 8 septembre. Son nom est Voisin.
Des Ecossais ont passé rue de la Bourie blanche. Ils étaient précédés d'un joueur
de cornemuse. Cela fait la joie des enfants on attend toujours les Indous.
Les dépêches ne disent rien de nouveau sinon que la Bataille dure toujours.
Mardi 29 septembre. Les anglais débarquent des voitures de réquisition et les roulent vers les Aydes. Cela fait l'effet de Buffalo Bill.
Nous recevons une lettre de Marie Louise. Elle nous donne des nouvelles de Lucien qui lui a écrit le 17. Il dit que ses repas consistent généralement de bifteck froid qui attend toute la journée au milieu d'une miche de pain qu'on ait le loisir de le manger. Et le soir c'est généralement de la soupe avec le même boeuf mais chaud. Le beurre et le fromage n'existent plus. Qqf [ quelquefois ] des confitures ou des poires cuites car elles ne sont pas mures. Une fois la nuit au bivouac ils ont été réveillés par qq [ quelques ] obus allemand qui n'ont fait de mal à personne mais son cheval effrayé a arraché son piquet et s'est sauvé. L'ordonnance l'a retrouvé à qq [ quelques ] kil au milieu de chevaux d'artillerie. - 30 septembre Mercredi.
La dépêche d'aujourd'hui explique longuement la position des armées françaises ou plus exactement de leurs avant-postes depuis la Moselle jusqu'à la Somme. Il semble que les allemands occupant la ligne Thiaucourt St Mihiel sont surveillés au Nord par la garnison de Verdun et au Sud par celle de Toul.
Les français tiennent la route de Reims à Berry au bac, Soissons et les premiers plateaux au Nord de l'Aisne. Ribécourt. Roye tandis que les allemands tiennent Lasigny [ Lassigny ] et Chaulnes. Notre gauche s'étendait au Nord de la Somme vers Albert - Combles. A 2H je vais voir mon zouave blessé au Lycée. Il est en bonne voie de guérison. Sa femme est arrivée avec son bébé âgé de deux mois. Nous lui donnons l'Hospitalité à la maison. Il parait qu'il y a des Indiens arrivés aux Aubrais. J'ai été voir les canons anglais. Ils sont braqués sur St Laurent au bord de la Loire sur le chemin de l'Ile Arrault. Il y a 4 grosses pièces avec cylindres amortisseurs de recul. Je crois
[ En marge, dessin représentatif d'un canon ]
que l'affut coulisse un peu sur l'essieu pour rectifier le pointage en direction.
Le soir la femme du zouave dîne avec nous et aide à laver la vaisselle.
1er octobre 1914. Jeudi.
Lettre de Marie-Louise datée du 29 septembre. Ma lettre du 21 lui était parvenue le 27 septbre [ septembre ] . Elle nous dit qu'elle a reçu deux lettres de Lucien. Une du 20 et une du 23. Dont voici copie.
Du 20 sept. J'ai pu ce matin aller à la messe ce qui ne m'était pas arrivé depuis le 15 août. Voici le 9ème jour que nous sommes devant Reims à nous battre avec de l'artillerie de siège, avançant méthodiquement de 20 à 60 m. par jour. Nous avons fait des tranchées et des passerelles sur le canal. J'ai assisté hier à un des spectacles qui m'ont le plus douloureusement ému pendant cette campagne. C'est une honte de plus pour les allemands. Furieux de se voir battus ils s'étaient remis à bombarder Reims pour la 2ème fois. Vers 17h. on s'aperçut que la Cathédrale brûlait. D'une hauteur située * à 10'' de la Ville environ. J'ai regardé
[ note en bas de page ] * c'était Merfy - une belle flamme claire jaillir du toit de l'abside.
Du 23 sept. J'ai raconté la journée de Dimanche passée à Merfy au NO [ Nord-Ouest ] de Reims. Nous y avions été envoyés le Samedi soir et nous avons été étonnés de n'y trouver personne de notre corps d'armée, rien que du 3ème corps. Nous nous installons dans un château inhabité. Nous avons établi notre mur chez un jardinier et nous avons passé une partie de notre temps à faire sécher nos effets et nos chaussures car il pleuvait. Le lendemain soir la division était relevée et passait en réserve et chose bizarre nous sommes moins bien logés étant en réserve que lorsque nous étions sur la ligne de feu. Il y a une compensation. Chaque jour un fourgon fait un tour à Reims et rapporte du chocolat, des confitures, des boîtes de conserves, des tricots de laine etc.
Hier et ce matin, nous avons bien senti que nous étions en automne. Le soleil s'est levé lentement dans un brouillard
froid mais à partir de 8 heures il fait chaud.
2 octobre. Vendredi.
Dans la nuit passée au Lycée rien de particulier mais le matin à 5h ¾ arrivent deux voitures de blessés allemands. L'un deux est signalé par le conducteur de la voiture comme gangreneux. On le met tout seul au rez-de-chaussée. J'assiste à son coucher. On lui coupe son pantalon et sa botte. Il avait deux paires de chaussettes superposées. Je cause un peu avec lui. Il se nomme Reinké. C'est un hanovrien. Il est employé aux tramways électriques d'Osnabrück. Il a 30 ans il est marié et père d'un enfant. Ils sont cinq frères soldats en même temps. Il a été blessé aux environs de Reims le 17 sept. Pour venir de Reims à Orléans j'ai cru comprendre qu'il avait mis 2 jours et 2 nuits de chemin de fer. Ce n'est pas énorme comme temps mais que faisait-il du 17 sept. au 1er octobre ?
J'ai vu un détachement indien qu'on occupait à démolir les baraques de bois de la place Bannier pour les emporte au camp de Cercottes. Ces hommes sont - grands et minces. Leurs cheveux roulé sur la tête et enveloppés dans leur turban. Ils balancent le corps ou la tête en marchant on dirait qu'ils portent un pot au lait sur la tête. Leur attitude indolente contraste avec le regard farouche de leurs sous-officiers. Ceux-ci roulent leur barbe d'une façon articulée et attachent les bouts aux oreilles.
Les dépêches ne nous disent rien d'intéressant ou plutôt rien de nouveau. On se bat toujours très dur à Roye que nous occupons et que les allemands voudraient nous enlever. Dans la région de St Mihiel nous avons repris Secheprey [ Seicheprey ] .
3 octobre. Samedi.
Des croiseurs allemands ont bombardé Papetee [ Papeete ] le 22 septembre et démoli La Zélée canonnière de 647 tonneaux.
4 octobre. Dimanche.
La lutte bat son plein dans la région d'Arras sans qu'aucune décision ait été encore obtenue. Action moins violente entre la Somme et l'Oise et entre l'Avre et la Somme c. à d. [ c'est-à-dire ] vers Roye. Nous avons progressé dans la région de Soissons et sur le Rupt de Mad
Messe de 11 ¾ à la chapelle du Lycée. A la cathédrale grand sermon de Mgr. l'évêque
pour l'oeuvre des vêtements chauds du soldat
5 octobre. Lundi.
Nuit de veille au Lycée. Rien de particulier. Je reçois le loyer de Toulon. A midi nous recevons une carte de l'abbé Eugène Fouqueau ainsi libellée :
Quelle douleur pour vous et quelle perte pour nous tous j'ose presque ajouter pour l'Eglise. Cette âme ardente et clairvoyante de future prêtre, de religieux ! Mais Dieu sait bien ce qu'il fait. Ambroise aspirait à dépenser sa vie goutte à goutte Dieu la prend tout d'un coup. Il achève le sacrifice à peine commencé. Pour la victime c'est un gain, pour les âmes rien n'est perdu. Jésus aussi a interrompu sa carrière à ce qui ne paraissait qu'un début. Il n'y a que pour vous que c'est plus dur. Mais Dieu vous sait Chrétiens. Et Lucien ?
Nous allons aussitôt voir M. Fouqueau. Il nous dit que la mort d'Ambroise a été annoncée la veille aux élèves par le Supérieur qui tenait la nouvelle des dominicains. Nous allons voir le frère Eré qui nous montre ses lettres. Rien n'est officiel.
Le soir à 7 heures nous recevons une carte postale de Belgique du père Hugueny. La voici : Espoir ! Le même père qui - m'avait écrit : frère Soudé tué m'écrit en date du 21 sept Soudé gravement blessé. Gravement blessé le 30 août dans un combat de retraite. Le frère est sans doute resté dans une ambulance aujourd'hui occupée par les allemands et d'où il lui est impossible de nous donner des nouvelles. Le frère Tonneau qui n'est pas de son régiment n'a pu être informé que par ouï dire. Espérons et attendons en tout abandon à la sainte et paternelle volonté de Dieu.
6 octobre. Mardi.
J'envoie à Lucien la copie de la lettre du père Hugueny. J'en envoie une également au Supérieur de Ste Croix en lui disant qui suivant la manière de voir du père Hugueny nous voulons espérer tant que la nouvelle de la mort de notre cher enfant ne sera pas officielle.
A deux heures nous allons voir le père Gillet aux Aubrais. Il nous avait écrit pour nous dire son regret que la nouvelle ait été si vite propagée comme certaine.
Nous rencontrons là-bas Madame Cécile Blanchard.
La dépêche d'aujourd'hui 6 octobre 9h du matin. Situation générale stationnaire. La bataille continue au Nord.
7 octobre. Mercredi.
Le matin nous recevons une lettre de Marie-Louise. Elle n'a rien reçu de Lucien depuis huit jours. Mme Lacour a eu des nouvelles de sa fille par des intermédiaires.
J'écris ma lettre au Capitaine Rivière de la 11ème du 84 et une autre au Curé de Signy l'abbaye. J'ai écrit aussi à Lucien.
Départ de la femme du zouave Diémunch. Je vais au Lycée pour le voir mais il dort. On l'a changé de salle. La femme du proviseur me dit qu'on n'a plus besoin de moi jusqu'à nouvel ordre. Les infirmiers ne sont pas du même avis : ils trouvent qu'ils sont trop peu nombreux ce qui leur fait des gardes trop rapprochées.
La dépêche d'hier 15h est grave elle dit que la bataille s'étend de plus en plus vers le Nord. Des masses de cavalerie allemande très importantes sont signalées aux environs de Lille précédant des éléments ennemis qui font mouvement par la région au Nord de Tourcoing Armentières. - Nous recevons une lettre de Lucien. Il a reçu le 29 septembre deux lettres de moi une du 23 août une du 12 septembre. Il conseille l'adresse suivante :
Compagnie divisionnaire 20ème divon par Angers. Il continue :
Je n'ai pas de nouvelles d'Ambroise. S'il était dans ma division il serait au moins sergent major. Le 25ème a reçu au moins 1800 h. [ hommes ] du dépôt pour compléter ses vides. Pour nous la Providence nous a bien protégés depuis le commencement. Nous n'avons eu que 6 blessés et cependant nous avons passé au bord de la Vesle, derrière des meules de paille des journées dangereuses au milieu des salves encadrantes de l'artillerie lourde allemande. Maintenant nous avons repris notre vie nomade pour augmenter le chiffre de 800 K déjà parcourus. La plupart des églises sont fermées. Le curé étant parti soldat ou aumônier. Je suis allée à la messe le 20 septembre à Merfy.
Au sujet de la retraite de Belgique
il dit : Joffre n'a pas laissé entamer son armée avant que les allemands ne soient obligés d'envoyer des renforts en Pologne. A ce moment nous nous sommes arrêtés et nous avons remporté notre 1ère Victoire tactique mais j'estime que notre marche antérieure état une victoire stratégique puisqu'elle faisait échouer le plan allemand.
Je ne croyais pas que nous emploierions la méthode russe de 1813 et il fallait de l'audace pour se résoudre à une bataille si près de Paris. Cela a réussi mais la 2e bataille est rudement dure.
8 octobre. Jeudi.
Je reçois une carte de Brive. L'abbé Julien Porte Vicaire de St Martin de Brive. Il dit que le dépôt du 84 est à Terrasson à 20'' de Brive. Terrasson est un chef-lieu de Canton de la Dordogne sur la rive gauche de la rivière Vézère. La gare doit être sur la rive droite (Corrèze).
La dépêche ne dit rien. Les masses de cavalerie allemandes ont été contenues au Nord de Lille. Sur tout le front on se bat plus ou moins mais la position respective reste la même.
Les anglais ont adopté la rue de la Gare - pour leur passage habituel. Toute la journée c'est un défilé de camions et d'automobiles. Le temps étant très sec nous sommes envahis par la poussière.
Je ne vais pas au Lycée ce soir puisque Madame la Proviseuse m'a dit qu'elle n'avait pas besoin de moi en ce moment et qu'on me ferait dire quand je devrais y retourner.
9 octobre. Vendredi.
J'écris au sergent Néchal pour qu'il me dise ce qu'il sait d'Ambroise. Hier j'ai écrit au curé de Signy-l'abbaye et au capitaine Rivière.
A deux heures je suis allé à Saran pour voir Foucault Breton et savoir s'il avait du vin. En descendant du tramway j'ai causé avec un blessé du 43e. Il a été blessé le 25 août et ne sait pas ce qui s'est passé le 30 août. Il pense que le 84 s'est replié sur Hirson et ne croit pas qu'il ait été à Signy-l'abbaye. Mais il n'est pas bien sûr.
Foucault faisait son vin blanc avec son fils. Il a cinq enfants. [ illisible ] mariés quatre sont soldats. Celui-ci avait été
réformé mais il va repasser le conseil de révision.
Je vois dans un champ au sud du Cimetière un homme qui façonne son champ avec une raclette qu'il tire comme un cheval tire une charrue. Il dit que cet outil est employé depuis une dizaine d'années. L'outil est double l'un des côtés fait plus de largeur que l'autre et sert à rechausser [ En marge un dessin représentant l'outil ] . L'outil est lourd pour s'enfoncer en terre. Qqf [ quelquefois ] on le charge d'un poids supplémentaire. Cet homme est employé à garder les voies. Il s'est évadé pour deux ou trois heures afin de travailler un peu sa terre. Il me dit que jusqu'ici on le payait 2f.50 par jour mais que désormais on ne le payera plus que 1f.25. Il attribue ce changement à ce que certains territoriaux ont fait des économies sur leur 2f.50 et les ont donnés en souscription à la Croix rouge. Alors le gouvernement a pensé qu'ils étaient trop payés et qu'on pouvait économiser sur eux. Je crois que la vraie raison c'est que les femmes ont réclamé que leurs maris mangeaient - les 2f.50 pour eux seuls et ne donnaient rien à la maison. Alors le gouvernement ne donnera que 1f.25 aux hommes et secourra les femmes indigentes. Mais les petits propriétaires qui ne sont pas indigents y perdent 25 sous par jour car leurs femmes ne seraient pas admises à bénéficier de secours direct.
A 7 heures nous recevons deux cartes postales, l'une de tante Louise, l'autre de l'oncle Henri. Celui-ci est avec les Anglais c.a.d. [ c'est-à-dire ] du côté de Soissons. Il donne l'adresse que voici :
H. Brunet Sergent 8e Regt de tirailleurs
19eme compagnie 5e Baton 38ème division.
Tante Louise écrit de Marseille. 5-10-14. Partie d'Orléans le mardi matin 29 sept par un train tout à fait omnibus (15 k à l'heure). Elle s'est arrêtée en route sans doute à Clermont et à Marseille. Elle a dû prendre le bateau hier 8 octobre car pour Bone car il lui aurait fallu attendre jusqu'au 14 un bateau direct pour Tunis.
La Croix cite un article de l'observatoire roman concernant les devoirs spéciaux des prêtres des pays belligérants. Ils ne pourront jamais oublier qu'ils sont les ministres du Christ qui n'eut jamais de haine pour ses bourreaux et qui mourut en pardonnant à ses ennemis. Dans la prédication il convient de mettre en dessus du voeu légitime de la Victoire pour son pays respectif celui de la Paix et il faut employer à l'égard des ennemis eux-mêmes un langage toujours empreint de Charité.
10 octobre. Samedi.
L'Echo de Paris parle d'un chef de Bataillon (Taupin) du 65e de ligne tué au moment où il commandait une charge, le 27 août à La Marfray sous Sedan [ sic ] .
Montdidier aurait été occupé par les Prussiens le 30 août c.a.d. [ c'est-à-dire ] une semaine après la bataille de Charleroi et c'est le 31 août que les Prussiens seraient entrés à Amiens.
11 octobre. Dimanche.
Le matin on apprend la prise d'Anvers.
Nous recevons une lettre de Marie Louise. Elle a une lettre de Lucien du 30 septembre. Il lui parle de canons prussiens passant - en gare de Creil d'où on peut conclure qu'il change de place et qu'il passe de la région de Reims à celle de la Somme ou même du Nord. Peut-être vont-ils faire des ponts sur les rivières du Nord ou bien faire des tranchées pour arrêter les Allemands qui vont quitter Anvers pour se rapprocher de nous. Elle dit : nous nous sommes fait vacciner on nous a dit que c'était plus prudent.
Nous recevons la visite de la cousine Paul Brunet revenue d'Arcachon.
Nous recevons une carte militaire de Lucien. Elle a été écrite le 6 octobre. Il se porte bien, il est dans une région moins dépourvue que celle qu'il a quittée. Il a pu se procurer du beurre mais sa compagnie a au quelques blessés avant-hier [ En marge : blessures légères ] . Depuis une dizaine de jours la zone d'opération du 1er corps n'est plus voisine de celle de son corps d'armée à lui. Il indique comme adresse : GD 20.
12 octobre. Lundi.
La dépêche d'hier soir dit que la cavalerie allemande s'étant emparée
de certains passage de la Lys près d'Aire [ Aire-sur-la-Lys ] en a été délogée et s'est retirée sur Armentières.
13 octobre. Mardi.
On apprend aujourd'hui ce qui s'est passé à Anvers. Les Allemands ont procédé comme à Liège et à Namur mais sans investir la place. Ils ont canonné trois forts et ont forcé le passage vers la ville qu'ils ont copieusement bombardée. Les Belges ont alors évacué la ville et se sont dirigés sur Gand et Ostende. Les forts d'Anvers tiennent toujours. Il y avait là huit à dix mille Anglais. Quelques-uns sont entrés sur le territoire hollandais où ils ont été désarmés.
Je vais chercher des poires chez le cousin Chartier. Il est parti à Autun avec son fils et il y restera tant qu'on ne l'enverra pas ailleurs de la sorte il saura mieux ce qu'il devient et la mère sera moins inquiète.
J'écris au commandant du dépôt du 84 à Terrasson (Dordogne) et à Mr l'abbé Julien Porte vicaire à St Martin à Brive (Corrèze). - 14 octobre. Mercredi.
Nous recevons une lettre de Decool. [ Lien vers la correspondance ]
Germain Decool Sergent au 84ème, 10ème compagnie.
Ave + Maria. Le 8 octobre 1914.
Je reçois ce matin votre lettre. A mon grand regret je ne puis vous donner les renseignements précis que vous me réclamez au sujet de votre fils et mon ami intime Ambroise. Ce que je sais c'est par ouïe dire.
Le 29 août nous nous sommes engagés pour la troisième fois entre Guise et Marle à Le Hérie La Vieville dans l'Aisne. Ambroise aurait été assez gravement blessé dans la matinée toujours est-il que depuis lors et malgré d'instantes recherches je n'ai pas eu d'occasion de le rencontrer. Durant cet engagement notre régiment a eu bien à souffrir. Le Bon Dieu nous a demandé de rudes sacrifices que sa sainte volonté se fasse et, s'il le faut, n'hésitons pas à lui sacrifier ce que nous avons de plus cher.
Si Ambroise était entré au ciel la Sainte Vierge l'aura reçu à bras ouverts car, selon l'esprit de son ordre, c'est une prédilection que de quitter cette terre d'exil un samedi jour qui lui est particulièrement consacré.
Après enquête minutieuse je vous donnerai des résultats exacts que vous attendiez j'en suis sûr avec anxiété.
Croyez bien, cher monsieur, avec le concours de mes faibles prières, à mes sentiments respectueux et dévoués en Jésus et Marie.
G. Decool. L. J. Ch. Et B. M. V.
Le Hérie La Vieville est un petit village de 500 h [ habitants ] . près de Sains-Richaumont. Lucien nous a écrit qu'il avait pris part au combat de Sains qu'il y était entré au pas de gymnastique avec le 1er Corps le 28 au soir qu'il y avait travaillé la nuit à faire des créneaux dans les murs et qu'il l'avait évacué le matin du 29 par ordre de battre en retraite. Lucien et Ambroise étaient donc à 5 kil l'un de l'autre ce jour-là.
La dépêche d'aujourd'hui annonce la prise Lille par un corps allemand. - Nous avançons un peu dans la région de Berry au Bac et entre l'Argonne et la Meuse. Nous sommes à Malencourt [ Malancourt ] à l'Est de Varennes [ Varenne-en-Argonne ] .
A sept heures du soir nous recevons une lettre de grand deuil de Madame Charlot. Elle nous annonce que son gendre Degand est mort à l'ambulance. Il avait été frappé mortellement à la bataille d'Esternay sur le Gd Morin au sud de Montmirail le 7 sept. Il a été enterré avec quelques camarades à Bouchy le Repos [ Bouchy-Saint-Genest ]
15 octobre. Jeudi.
Nous recevons deux lettres. L'une de l'abbé Julien Porte vicaire à St Martin de Brive ainsi conçue : Reçois à l'instant une réponse du Ct du dépôt 84 me disant que le Caporal Soudé est en bonne santé. N'ayez donc aucune inquiétude. Respectueusement à vous.
L'autre du Capitaine Rivière : « J'ai été blessé le 29 août au combat de Guise. Revenu depuis peu au dépôt je n'ai pu à mon grand regret obtenir des renseignements sur votre fils. » [ Lien vers la correspondance ]
1914 10 13 Rivère à Henri
16 octobre. Vendredi.
Le Journal de la Croix demande qu'on fasse quelque chose pour la reprise des affaires : amélioration du service postal, des transports p ch [ par chemin ] de fer, du crédit c.a.d. [ c'est-à-dire ] suppression du moratorium. Les services compétents doivent comprendre que c'est la patrie elle-même qui souffre de l'arrêt des affaires. On affiche à la porte de la gare des marchandises que pendant trois jours 17 18 et 19 octobre on ne pourra expédier aucune marchandise.
Les dépêches annoncent qu'on a gagné du terrain à l'est de Reims et qu'on se bat autour de Gand. Nous avons pris Estaires sur la Lys.
17 octobre. Samedi.
Une troupe de cavaliers Indiens passe devant nos fenêtres. [ Lien vers l'image ] Ils vont s'embarquer que les quais de la gare des marchandises. Ils ont la lance à la main droite. Leur fusil est à gauche dans un étui de cuir fixé à la selle. La crosse reste en dehors de l'étui. Turban comme tous les autres. Capote noire avec capuchon. Couverture sur la croupe du cheval. Pour embarquer les chevaux sur les wagons ils emploient le moyen suivant. Le cavalier tire son - cheval par la bride vers l'intérieur du wagon. Si le cheval résiste, deux hommes serrant un bout de corde de 1,50 environ passent derrière lui et appuient leur corde tendue horizontalement sur les fesses du cheval ou plus exactement à 0, 25 m au-dessus du jarret. Le cheval pour éviter le contact se dépêche bien vite d'entrer dans le wagon.
Nous recevons la visite de Tante Hélène qui raconte quelques incidents de son voyage à Clermont. Pendant qu'elle cause nous voyons passer des Indiens qui vont s'embarquer à la gare. Ce sont des fantassins. Leur fusil est court. Ils le portent tantôt sous le bras droit comme nos chasseurs civils tantôt sur l'épaule gauche horizontalement la crosse en arrière tenant à pleine main le canon qui marche ainsi en avant.
Ces fantassins n'ont pas de batterie de cuisine ni d'outils sur le dos mais seulement deux couvertures l'une pliée sur le dos à hauteur des épaules l'autre roulée plus bas au-dessus de la ceinture. Ils ont en outre une
musette, une bouteille métallique et une pèlerine à capuchon en toile forte de la même couleur que tout leur vêtement y compris le turban toutefois le bout du turban est noir. D'autres qui semblaient être des infirmiers et marchaient sans armes avaient le bout du turban rouge.
Ce soir au salut de cinq heures on a lu une amende honorable au Sacré Coeur dans laquelle on dit que les maux dont nous souffrons sont un châtiment mérité de nos injures à la Majesté divine.
18 octobre. Dimanche.
A la messe de huit heures sermon sur la liturgie, Etymologie du mot Eglise. Forme des Eglises rappelant la croix, dans quelques-unes l'axe de la grande nef se brise à la croisée du transept pour figurer l'inclinaison à droite du corps du Christ sur la croix. Nous avons eu une lettre d'Hélène Charlot qui nous parle de la mort de son beau-frère Degand.
Lettre de Louise qui est arrivée le 12 octobre à Tunis. De Marseille elle est allée à Bone - Elle est passée en ch [ chemin ] de Fer dans la Vallée de Medjerdah et elle a vu le camp de Sidi El Hemessi où était son frère Henri avant de venir en France.
Les dépêches disent que les Allemands poursuivent les Belges au-delà de Gand vers Anvers et que les Français et les Anglais repoussent sur Armentières ceux qui remontaient la Lys.
19 octobre. Lundi.
Les Français ont repris Armentières. La dépêche de ce jour dit que dans la nuit les Prussiens ont attaqué au Nord et à l'Est de St Dié et que les alliés avancent vers Lille. Nous recevons une lettre de Marie-Louise. Elle est allée à Lorient pour voir son frère qui doit partir le 21 avec l'artillerie lourde. Son second frère va bientôt passer le conseil de révision. A ce moment Marie-Louise viendra nous voir.
Lucien lui a écrit le 7 octobre. Il était à Arras. Le 10 Lucien a écrit à tante Hélène.
20 octobre 1914. Mardi.
Après la messe de 6h je vais chercher une lavandière. Mme Devallée rue des Closiers 86 dont le mari s'occupe d'abeilles. Girouette figurant trois ruches. Je vois en passant le campement des Indiens aux Groues [ Lien vers l'image ] l'un deux pétrit une galette plate : une petite crêpe qu'il fait cuire sur une tôle placée sur le feu. Je vois la cousine Chartier. Son mari est toujours à Autun avec son fils Paul au dépôt. En rentrant à la maison je trouve une lettre de Maxime Néchal Adjudant à la 10ème Cie du 84ème de ligne 1er Corps d'Armée Avesnes / Helpe
.... 14 octobre [ Lien vers la correspondance ]. Sauf l'intérêt que me portait votre fils mon ami Soudé Je vous avoue que j'attendais cette lettre et que je ne suis pas étranger au contenu de la dernière missive que vous avez reçu du Sergent Decool.
C'est une bien pénible mission, Mr que celle dont vous me chargez en ce moment, cependant comme vous - êtes de ceux que la mort n'épouvante pas, il ne nous pas permis de vous laisser ignorer plus longtemps le sort de celui qui est notre plus cher et grand ami Ambroise Soudé.
Ambroise est mort glorieusement au combat de Hérie la Viéville près de Guise dans l'Aisne.
Les détails de sa mort nous ne les connaissons pas. Il a dû tomber en montant à l'assaut vers 6h du soir. La certitude de sa mort. Nous ne l'avons jamais revu depuis.
Un caporal de ma compagnie Léonard Durinck de Roubaix nous a affirmé l'avoir vu mort et l'a retourné plusieurs fois pour s'en assurer. Sa tête était traversée d'une balle et l'on aurait dit qu'il dormait. Durinck et Ambroise se connaissaient très bien.
L'endroit de sa sépulture nous ne le connaissons pas. Le champ de bataille fut occupé un certain temps
par les troupes françaises qui durent ensevelir ses soldats morts au même endroit. Le capitaine Rivière ayant été blessé au même combat rien d'étonnant à ce que vous n'ayez pas eu de nouvelles de sa main.
M. Delrue étant probablement dans la région investie n'a pu vous répondre.
Quant aux objets envoyés pour votre fils puisque vous m'en donnez le droit, je me réserve de les partager parmi les plus nécessiteux de nos soldats.
Enfin, Mr, terminant ma lettre au milieu du champ de bataille et ne pouvant vous donner une consolation que vous n'attendez point des hommes, je ne puis que me joindre à votre affliction et prier Dieu pour l'âme de notre Bienheureux et meilleur ami Ambroise Soudé. Néchal.
21 octobre. Mercredi.
Messe de 6 heures. Maman travaille activement au cache couverture pour Lucien puis au cache nez. - J'écris au caporal Durinch, qui doit être dans une ambulance puisqu'il a été blessé depuis la bataille de Guise.
La dépêche parle d'une bataille commençant à la mer du Nord à Nieuport [ Nieuwpoort ] passant par Dixmude [ Diksmuide ] Ypres, Menin, Warneton, La Bassée.
Le journal Le Patriote donne une explication de la résistance des Allemands dans la région de Roye. C'est une tranchée monstre creusée par les P [ Ponts ] et Chaussées pour le canal du Nord en achèvement. Le canal se détache à Arleux du canal de la Sensée et se dirige sur Péronne empruntant un moment le canal de la Somme jusqu'au confluent de l'Ingon. Il redevient indépendant jusqu'au canal latéral à l'Oise près de Noyon. Sa longueur est de 95 kilomètres. (Arleux est entre Douai et Cambrai)
Le ministre de la guerre a interdit à la Presse de publier les listes de tués et blessés.
22 octobre. Jeudi. Le matin promenade au nouveau pont. Un escadron de lanciers
indiens fait halte sur le quai St Laurent. Je reçois une lettre de Fr Jacques Dumenil Recrutement de Lille à Limoges [ Lien vers la correspondance ]. Il ne sait rien de plus que le père Hugueny.
J'écris à Lucien et au capitaine Rivière pour lui communiquer la lettre d'Ambroise relative à l'interrogatoire du lieutenant concernant les permissions de Belgique (Lundi avant le dimanche des rameaux). Il nous serait pénible de penser que notre Ambroise qui se donnait tant de peine pour bien faire son service pourrait laisser dans l'esprit de ses chefs le souvenir d'un soldat animé d'un mauvais esprit.
J'écris à Néchal pour le remercier de ses renseignements. J'espère le voir un jour à Avesnes quand les Prussiens seront partis.
Je vois Mr et Mme Rayneau. Ils étaient en compagnie de leur fils dont le gendre est médecin, en service à Toul. La belle fille de Mr Rayneau est à Paris pour quelques jours. Je ne l'ai pas vue. Mme et Mr Rayneau sont toujours dans le même état de santé. Mr est courbé sur ses cartes pour suivre les opérations.
Dans la soirée, départ d'un bataillon - qu'on me dit être des territoriaux.
Un peu plus tard arrivé des Indiens et de leurs chevaux. Ils ont l'air d'aller aux Groues où ils ont un campement.
23 octobre. Vendredi.
Nous recevons une lettre de Lucien. Il croit encore son frère prisonnier et il continue : Nous reprenons tout droit le chemin d'une campagne d'hiver. Français et Allemands creusent leurs trous les uns en face des autres à 1 200 tantôt à 300 mètres. De temps en temps on entend le canon la fusillade crépite c'est l'un ou l'autre adversaire qui veut avancer de quelques mètres. Les sapeurs travaillent et organisent deux ou trois positions successives, font des kilomètres de tranchées pr fantassins, des parapets derrière lesquels les artilleurs amènent leurs pièces une par une la nuit, emploient les fils télégraphiques à couvrir les champs et barrer les routes de fils de fer, font des créneaux de fusillade dans les murs des maisons. Sur une longueur de 500 m en bordure du ch [ chemin ] . de Fer
nous avons créé un passage à travers tous les murs de jardins et d'usines pr faire un chemin de ronde parallèle à la voie. Dans une maison nous avons rempli l'intervalle entre la fenêtre et les valets avec du ballast et quel massacre !
J'ai été pendant 48 heures détaché de la Cie à la disposition d'un Lt-colonel Cdt une brigade, deux nuits de travail.... Je préparais tranquille le jour mon travail et j'arrivais le soir avec un stock de piquets, mes rouleaux de fil de fer. Je mettais mes sapeurs en chantier sur les emplacements que j'avais jalonnés à la tombée du brouillard.
Pierre Hamy m'annonce la mort de quatre de mes camarades artilleurs dont Villain (mariage à St Hilaire du Harcouet, maman a vu sa mère à mon mariage) et Arthaud. Je n'ai pas de nouvelles de mon conscrit Chavagnac qui a reçu le 4 un culot d'obus dans les muscles de la cuisse. - Il y a bien longtemps que je ne suis pas rentré dans une église. Quand nous nous sommes promenés sur les derrières de l'armée nous arrivions trop tard pour les trouver ouvertes. Nous sommes restés trois jours dans un hameau où il n'y avait pas d'église. Ici j'ai entendu la cloche tinter mais je ne peux pas m'absenter. Je vous embrasse très affectueusement. Lucien.
1914 10 18 Fugeray à Henri
Hier ou avant-hier nous avons reçu une carte d'André Fugeray réserviste du 7ème groupe cycliste [ Lien vers la correspondance ]. Quartier général de l'Angle de Carry. Le dépôt de ce groupe est à Orléans.
Il dit : Notre service est surtout un service de place c.à.d. [ c'est-à-dire ] gardes à assurer loin des lignes. Ce n'est pas périlleux.
Ce soir à 2 heures, dans la rue Bannier, j'ai vu défiler un détachement anglais comprenant infanterie artillerie. Les fantassins sont d'une race jaune. Chapeau mou à grands bords. Les artilleurs anglais, les tringlots sont indiens. Ils venaient d'Olivet et
semblaient se diriger vers les Groues.
Le frein récupérateur de recul est un gros cylindre placé au-dessus du canon.
24 oct. Samedi.
L'après-midi je vois vendre des chevaux que le quai du Châtelet. Ce sont des chevaux qui reviennent de la guerre. Ils atteignent des prix élevés 570f - 780f + les frais. Ce sont des chevaux légers très maigres et très fatigués presque tous garrotés sans doute parce qu'ils étaient toujours sellés.
A mon retour du Salut à 5 ¾ on me dit que Mr Rabier est venu me voir et m'attendra jusqu'à 6h ½ à son bureau. J'y vais. Il veut me parler d'Ambroise. Il a reçu à 5h du dépôt de Terrasson un télégramme qu'il me lit : Prière prévenir M. Soudé 14 r [ rue ] de la Gare que son fils Ambroise caporal du 84 est décédé antérieurement au 21 septembre. Je lui dis que je l'ai appris par des camarades et qu'il faudra bien des victimes comme celle-là pour payer tous les blasphèmes de la France officielle - Alors c'est moi Rabier qui - suis cause de la mort de ton fils - Oui toi et tous les autres qui avez voté les lois de laïcisation - Alors il est puni pour la faute des autres - oui c'est toujours comme cela - En voilà de la justice - Il faut que les innocents payent pour les coupables - Désires-tu que le télégramme soit communiqué aux journaux - Non cela ferait de la peine à ma femme. C'est une mort glorieuse pour notre famille et pour l'ordre de St Dominique car mon fils était dominicain - Ah - Il avait fait ses voeux au mois de septembre quinze jours avant d'aller à la caserne. C'est probablement la persécution qui l'a engagé à entrer dans cet ordre religieux. - Tu as un autre fils. Où est-il - A Arras - Faut espérer qu'il n'aura pas de mal. D'ailleurs voilà la guerre qui se termine. On envoie des troupes de partout. Les Allemands ne peuvent pas échapper. On les prendra dans leurs trous. Au revoir.
Je te serre la main (très haut la porte ouverte) deux huissiers dans l'antichambre.
Pendant ce temps Madame Soudé était en ville et avait rencontré la cousine Charlot.
25 octobre. Dimanche.
Messe de midi au Lycée. Une grosse brioche de pain cuit. A 2h réunion du T.O.
Sermon sur le renoncement. Les soldats dans les tranchées sont dans un dénuement bien plus complet que celui des moines ayant fait voeu de pauvreté pas de lit, pas de linge à changer, nourriture bien juste suffisante.
Un tertiaire de Reims disait qu'il était resté plusieurs jours dans sa cave sans pain.
Le soir nous allons voir Paul Brunet pour lui donner l'adresse d'Henri Brunet 20ème compagnie des 8ème tirailleurs 38ème division Bureau central militaire de Paris. Le fils de sa bonne, séminariste n'a pas donné de nouvelles depuis le comt [ commencement ] . - 26 octobre. Lundi.
Mr Fougeu me demande de le remplacer aux enterrements des soldats décédés aux ambulances. Je vais à Serenne mais il n'y en a pas.
Le Journal du Loiret a annoncé la mort d'Ambroise hier de sorte que plusieurs personnes viennent nous offrir leurs condoléances. Mr Fougeu, Me Pierson mon notaire, Mr et Mme Lefèvre.
La dépêche ne dit rien de nouveau. La bataille dure toujours de Nieuport à Arras.
27 octobre. Mardi.
Le matin je vais à un enterrement au Lycée. C'est un fantassin du 5e de ligne le breton Lagnel qui est mort. Il laisse une veuve et trois enfants. Nous étions trois hommes civils à l'enterrement. Mr Fougeu, moi et un grand jeune homme d'allures bizarres qui se dit le fils d'un général Peslin décédé paraît-il d'insolation. Ce jeune homme réformé probablement pour dérangement d'esprit cause très fort et gesticule ce qui ne convient guère à un enterrement. Je pousse le coude à Fougeu pour qu'il ne soutienne
pas la conversation avec lui. Je remarque que l'aumônier du lycée et son enfant de choeur ne précèdent pas le corbillard avec la croix comme d'usage mais qu'ils marchent l'un à côté de l'autre, derrière. Le prêtre en soutane noire et pantalon rouge son surplis blanc plié sur le bras gauche avec l'étole noire. Le chapelet à la main droite. En avant une belle couronne portée par deux territoriaux du 40ème sur les côtés huit chasseurs le mousquet sous le bras commandé par un brigadier portant le sabre. A la chapelle avant l'absoute l'aumônier remercie les personnes assistantes il profite de l'occasion pour dire que dimanche jour de la Toussaint on dira le repos des morts et qu'il y a cinq prêtres pour entendre les confessions mais qu'on ne dise pas qu'il y a de la pression. Tout le monde est parfaitement libre. En revenant du cimetière nous voyons passer sous le pont de la rue de Joie un train d'émigrés. Ce sont des femmes et des enfants qui viennent de Lens. - 28 octobre. Mercredi.
Pendant toute la nuit la rue de la Gare a été occupée par les troupes anglaises artillerie. Les pièces étaient dételées une corde allait de l'une à l'autre au bord du trottoir et les chevaux à la corde mangeait l'avoine à 6h quand je suis revenu du Salut du soir. Devant les maisons 6, 8, 10, 12, 14, 16 c'étaient des tringlots indous avec leurs mules. Ils ont dormi sur le trottoir. A 4 heures du matin, trois petits coups de sifflet pour le réveil et à 4h ½ tout était parti. Un détail concernant les attelages de mules. Il arrive que l'une se penche tellement vers sa camarade pour la pousser que sa selle tourne complètement sur son dos et alors il faut que le conducteur descende et remette la selle en place ce qui n'est pas toujours facile. J'ai vu aujourd'hui pour la 1ère fois le camion anglais à vapeur. Ils sont de système Foden comme ceux de notre manutention mais de construction anglaise. Charge maxima cinq tonnes. Jantes très larges.
Ce soir le roulage des voitures anglaises vers la gare continue. L'embarquement durera jusqu'au 30 à midi.
29 Jeudi.
En revenant de la messe de 6 je rencontre le père Gillet qui ayant passé la nuit aux Aubrais vient se reposer en ville. Je le mets au courant de ce que j'ai appris officiellement sur Ambroise. Il dira la messe pour lui demain vendredi à 7h. Il raconte deux incidents de la journée d'hier aux Aubrais. Le hasard fait qu'un train de soldats allant au feu s'y rencontre avec un train d'émigrés du Pas de Calais. Or parmi eux plusieurs retrouvent des parents, frères, époux, pères, amis d'où scènes émouvantes. Les émigrés disent les dégâts faits au pays du Nord. Autre scène : un train de prisonniers allemands se trouve avec un train d'Indiens partant pour le front. Ceux-ci menacent de couper le cou aux Allemands.
Lettre de Tante Louise de Zafrane - Lettre de Lucien du 19 : J'ai rencontré des débris du 84 à Pierrepont entre Sissonne et Marle le 31 vers 10h du matin. Quelle étape !
Un dévoué catholique de Genève M Ch Gerdil rue du Stand 60-62 Genève à l'extrême complaisance de se mettre à la disposition des lecteurs de La Croix pour les aider dans la recherche de leurs soldats prisonniers en Allemagne. Timbrer la lettre à 0F25.
30 octobre. Vendredi.
Le matin à sept heures le père Gillet dit sa messe chez les dominicains à l'intention d'Ambroise. C'est le frère Eré qui la sert. Madame Soudé offre 30 bandes roulées pour pansements. Je laisse la copie de la lettre d'Ambroise du 28 août.
A St Marceau je commande trois chrysanthèmes à Doussaint. La femme Bothereau loue son jardin à la demoiselle d'à côté. Je lui dis que tant que Bothereau ne paiera pas le loyer, elle ne devra rien lui payer pour sous-location de jardin.
Des cavaliers anglais et indiens venant d'Olivet traversent le pont. [ Lien vers l'image ]
Je remarque que les chevaux ont tous une couverture ou une toile roulée et fermée et posée sur le cheval comme un collier de trait en plus du petit boudin sur le pommeau et un autre sur le trusquin. En somme tous ces anglais sont peu chargés mais ils ont toujours des voitures à la suite et dans ces voitures il semble que chaque homme ait son ballot même les Indiens.
Lettre de l'oncle Henri. Il profite d'une occasion pour nous écrire une vraie lettre qu'il demande qu'on transmette à Louise. Depuis un mois ils étaient devant le plateau de Craonne mais rien à faire. Il paraît que les Prussiens occupent des positions extrêmement fortes préparées en temps de paix dans les carrières achetés et occupés par les leurs. Alors ils changent de place. Peut-être iront-ils à Nieuport pour voir si on peut passer par là plus facilement qu'à Craonne. - Ils supposent qu'on va les embarquer au Havre ??... Cette combinaison me semble invraisemblable. Abandonner un poste sous prétexte que la besogne est trop dure ça manque de chic. Si on n'ose pas assiéger Craonne comment prendra-t-on Metz ou Strasbourg ?
En Tunisie s'il y a de la casse, Louise trouvera tous concours utiles auprès de MM Acquaviva et Sof auxquels elle peut s'adresser en toute confiance. Ces MM s'occuperont de régler les affaires d'Henri s'il y avait de la casse. J'espère bien qu'il n'en sera rien mais cela ne fait pas de mal de prendre ses précautions.
Cette lettre a été écrite d'Oulchy (Arrd [ arrondissement ] de Soissons) à la date du 28. Elle porte le timbre de Paris gare de l'Est 29 octobre. Nous la recevons le 30 au matin. C'est un record de vitesse.
[note_archiviste : note en bas de page ajoutée ultérieurement] Voir le discours de Poincaré (février 1920) pour la réception du maréchal Foch à l'Académie.
31 octobre. Samedi.
Beau temps relativement à hier. Pas de nouvelles sensationnelles. Le mégissier de la rue de la Corroierie se nomme . Il habite au n°8. Le prédécesseur de notre cousin Trillaud : à l'abattoir il faut voir Maurice Janvier Halle aux cuirs à gauche en entrant dans la cour. J'y vais il aura des peaux de mouton mardi soir. Je rencontre le maire d'Orléans Fernand Rabier au carrefour de la rue de la Corroierie et de la rue Croche-Meffroy. Il avait mis pied à terre et cherchait une femme Portheault dont le mari ou le fils avait été tué. Chaque jour il a cette corvée d'avertir les familles. C'est un châtiment pour lui qui promettait le bonheur ou au moins le mieux-être. L'esprit du régime l'idée du règne c'était de donner de la gaîté à la démocratie et nous voilà dans les deuils ! Je dis à Doussaint qu'il pourra prendre quatre planches chez le Chanoine Genin pour refaire sa palissade de cave qui est pourrie. - La dépêche dit que la journée a été marquée par un essai d'offensive générale. En aval de Soissons nous avons progressé mais en amont nous avons reculé vers Vailly.
La Croix donne le récit de ce qui s'est passé dans une communauté près de Baye (voisin de Champeaubert [ Champaubert ] ) les 3 à 10 septembre. Les Allemands pillaient parce qu'ils n'avaient rien à manger mais ils n'ont tué personne là.
1er novembre. Dimanche.
Nous recevons une lettre de Dumesnil du Bureau de recrutement de Lille stationné à Limoges [ Lien vers la correspondance ]. Elle est datée du 30 octobre. Il apprend que le fr. [ Kriner ] a été grièvement blessé d'une balle en pleine poitrine. L'aumônier qui apprend cette nouvelle espère qu'on pourra le sauver.
A St Paterne à la grand-messe sermon du P [ Père ] Gillet sur la charité. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. A la Cathédrale à 4H sermon du même P [ Père ] Gillet. Beati ceux qui souffrent persécution pr la justice car le royaume des cieux est à eux. Le Diacre Laurent montrant tous les pauvres secourus par ses soeurs disait à ses
bourreaux voilà mes trésors. De même la France montrant tous ceux qui souffrent de la guerre peut dire C'est avec cela que je rachèterai mon honneur et ma liberté et l'indépendance de mon territoire.
2 Novembre lundi.
Hier soir à 8h matines de l'office des morts. Ce matin laudes et grand-messe à St Paterne. À 11h procession au cimetière St Marceau. à 2h procession au gd Cimetière. La dépêche d'aujourd'hui est très longue mais n'indique aucun changement. Louise écrit mais ne dit rien de neuf. Le baiser à l'épaule est une marque de profond respect.
Au gd Cimetière Mgr Touchet parle sur les tombes des soldats mais le brouhaha de la foule m'empêche de distinguer ses paroles.
3 Novembre mardi.
Vaillant de Guélis demande des nouvelles de Lucien et d'Ambroise. Il est réformé à la suite de blessures à la tête et au pied reçues en Belgique. Un de ses frères vient de perdre la vue en Alsace par un éclat d'obus. Un autre est aux environs d'Ostende artilleur proposé pr le grade de sous-lieutenant - Un autre, officier porte-drapeau de son régiment dans les tranchées près d'Arras. Ça fait 4 frères dont deux blessés et deux encore au feu.
Télégramme du cousin Bessereau Dijon 3 nov Mon fils décédé cette nuit suite blessures faites part parents orléanais. [ En marge ] Max était au 67ème de ligne à Soissons.
Je vais à l'abattoir et on me donne quatre peaux de mouton pesant ensemble 27 Kil [ ajout au crayon de papier ] 17 Kg. Elles seront prises au compte de Lucien Trillaud à qui j'aurai donc à les rembourser. C'est Maurice Janvier qui les a choisies. C'est Quétard 8 rue de la Corroierie qui va les préparer.
4 Nov. mercredi.
Lettre de Marie Louise du 2 nov. Lucien lui a écrit le 24 octobre. Il se porte bien et a une cicatrice assez régulière. Il a passé une nuit à faire une destruction de pont. Les armées n'avancent pas.
Marie Louise compte venir à Orléans lundi prochain train partant d'Angers à 11h et arrivant à Orléans vers 31/2.
La cousine Gouache est décédée. Je vais faire visite à 3h. J'assiste à la mise en bière.
La dépêche semble indiquer que les Allemands dominent l'Aisne dans la région en amont de Soissons.
Nos troupes qui essayaient de gravir le coteau nord et d'atteindre le Chemin des dames ont dû descendre dans la vallée Villages de Chavonne et Soupir. Braye en Laonnois tunnel de 2 500 m pour un nouveau canal joignant l'Oise à l'Aisne par la vallée de la Lette [ Ailette ] .
Le dépôt de Terrasson répond à ma lettre du 26 octobre par une annotation ainsi rédigée : Renseignement fourni par un adjudant revenant du front Le Caporal Ambroise Soudé aurait été tué le 30 août à Le Hérie La Vieville (Aisne)
5 Nov Jeudi
Enterrement de la cousine Gouache. L'Echo de Paris publie dans sa Nécrologie : Vous êtes prié d'assister aux Couv. service enterrement du Caporal Max Bessereau blessé le 8 sept dans la Meuse décédé des suites de ses blessures à la clinique Ste Marthe à Dijon le 2 Novembre, qui auront lieu à Paris le 7 Nov - à l'Eglise St Thomas d'Aquin. Vu les circonstances actuelles il ne sera pas envoyé de lettre d'invitation. L'Echo de Paris du Jeudi 5 Nov donne une 2ème liste de blessés français soignés à Liège. On y remarque les numéros suivants d'infanterie : 7ème, 25ème, 34, 36, 47, 71, 74, 129, 136. artillerie 61.
Mort au ch. d'h. [ au Champ d'Honneur ] Baron Aloze de l'Espinose du 225.
6 Nov. Vendredi.
Anniversaire de la mort de mon père. Le soir, Jules Chartier vient nous voir et nous dire qu'il a l'intention d'aller le lendemain à Paris pour l'enterrement de Max Bessereau. Je lui réponds que j'irai à Paris plus tard. Je préfère ne pas laisser Mme Soudé seule.
7 Nov Samedi.
Je vais à St Marceau. La veuve Lorin est allée à Paris reconduire sa fille et son bébé. La veuve Turpin s'embauche comme bonne d'enfant et doit partir demain à Paris.
8 Nov
Grand service à la cathédrale. Discours de Mgr Touchet pour rappeler les enseignements de l'Eglise concernant les morts.
9 Nov.
Arrivée de Marie Louise à 3h1/4
Sa mère a continué vers Paris par Vendôme. Marie Louise a reçu une lettre de Lucien du 2 nov.
10 Nov. Mardi.
Messe anniversaire pour Madame Bar. Le soir Mr Fougeu vient m'annoncer que je suis admis à la Conférence de St Vincent de Paul de St Paterne. J'ai oublié de répondre à l'abbé Berthelot Château de Fougères par Châteauroux.
M Deries m'écrit de Lyon [ Lien vers la correspondance ]. Ils ont beaucoup de commandes pour la guerre. Son fils Henri admis à St Cyr s'est engagé au mois d'août dans les chasseurs à pied 11e Baton à Annecy ainsi que ses deux cousins André et Jacques Callies. Ils ont obtenu de partir tout de suite au feu le 25 août en Lorraine. André a été blessé légèrement à la jambe le 2 septembre et est revenu au dépôt. Jacques malade a été évacué le 17 septembre. Henri resté seul après s'être bien battu à St Dié a été envoyé dans la Somme. Il est tombé grièvement blessé le 17 sept à Lihons près Chaulnes Son frère Jean ses cousines Favre, le Cdt de - de son bataillon et bien d'autres le croient mort mais officiellement on ne sait rien. Le terrain sur lequel il est tombé n'a pas cessé d'être le champ de bataille. Jean Deries est maréchal des logis vaguemestre au 54e d'artillerie et se trouve dans la même brigade que le 11ème chasseur à pied.
11 Novembre Mercredi.
Nous recevons une lettre de Lucien. Il parle d'abord de la mort d'Ambroise : Puisse son dévouement aider à faire oublier au Bon Dieu toutes nos fautes afin qu'il daigne accorder à ceux qui restent une victoire qu'ils ne méritent guère. Mais je pense au douloureux pèlerinage que vous avez l'intention de faire quand le sol sur lequel il est tombé sera redevenu français. J'ai la presque certitude qu'il sera vain. Il y a eu ces jours-là trop de morts pour qu'on songe à l'état civil de ceux qu'on enterre et nous ne retrouverons pas de croix sur laquelle nous puissions déchiffrer son nom. Le Bon Dieu seul retrouvera son corps au jour du jugement.
..............................................................................
Je ne suis jamais entré dans la ville de
Reims. J'en suis toujours resté à 10 Kil. d'abord à Puisieulx (à l'Est) ensuite à Merfy et Chalons sur Vesles (à l'Ouest)
Mon conscrit Ulmann qui vient d'arriver du dépôt d'Angers en remplacement de Chavagnac a un sac imperméable. Ça parait très pratique.
Ma compagnie ne compte encore qu'un tué depuis le début de la guerre.
Arras 5 novembre 1914.
12 Nov. Jeudi.
Lettre de tante Louise qui se félicite d'être allée à Zafrane où sa présence est utile. Le Curé du Kef qui est Belge n'a pas parlé des morts de la guerre le jour des morts. Tante Louise lui a demandé s'il n'avait personne à qui il s'intéressât dans la zone des armées. Il a répondu que le clergé belge n'était pas incorporé dans l'armée. Moi je crois que ce belge n'est pas très enthousiaste pour les armées française et anglaise qui n'ont pas été capables de protéger le sol belge. Et à tante Louise qui voulait lui donner une leçon de patriotisme, il a répondu en faisant remarquer que la France n'avait plus le droit de poser pour la Catholique. - L'oncle Henri écrit à sa soeur Berthe qu'il lui reste encore une lueur d'espoir pour Ambroise. Il est maintenant trop loin de l'endroit où est tombé Ambroise pour essayer d'avoir des renseignements. Il dit en terminant : « nous participons maintenant à des actions très vives. Espérons qu'elles seront décisives. »
Depuis quelques jours les dépêches sont très monotones en ce sens qu'elles ne marquent aucun progrès mais elles indiquent pourtant que la bataille est extrêmement violente surtout dans la région d'Ypres. Le 10 novembre, les Allemands auraient repris Dixmude et essayeraient de déboucher sur la rive gauche de l'Yser. Entre Reims et Berry au bac nous prenons Loivre. Dans les Vosges nous avons Ste Marie aux Mines et Thann, mais je me demande comment nous conserverons nos communications quand la neige va tomber. La route qui va de St Dié à Markirch [ Ste Marie-aux-Mines ] passe à la cote 780, celle qui va de Raon [ Raon-sur-Plaine ] à Schirmeck
passe à 780 au pied de Donon qui a 1000 m de même les routes qui passent par Saales. La Schlucht est à 1150 m. mais jamais on a parlé de cette route si fréquentée par les touristes de Gérardmer.
13 Nov. Vendredi.
Lettre de Hervé Vaillant de Guélis. Il dit qu'il a beaucoup de lettres d'Ambroise et offre de nous les communiquer. Je ne demande pas mieux.
Le Père Louis nous écrit une lettre de condoléances. Voici son adresse : Caporal Louis infirmerie Latour. Maubourg 22e section C.O.A.
14 Nov. Samedi.
Lettre du curé de La Ferté Imbault Il veut faire connaître à tous ses paroissiens le courage chrétien d'Ambroise [ Lien vers la correspondance ].
15 Novembre Dimanche.
A la grand messe sermon de M. d'Allaines sur l'Annonciation. Comme il descendait de chaire Mgr Touchet s'avance vers la balustrade et parle de la fête du roi des Belges. Il ordonne qu'à cette occasion on chantera l'invocation : Domine salvum fac regem Albertum [ Seigneur donne le Salut au roi Albert ] après le Domine Salvam [ Seigneur donne le Salut ] de la grand-messe - et avant la bénédiction au salut. Ce qui fut fait. Madame Fuchs est partie avec sa nièce à 5h du matin pour Paris et Vincennes.
16 Nov. Lundi.
Depuis huit jours les dépêches ne varient pas. Les Allemands ne se lassent pas d'attaquer à Dixmude et à Ypres. Samedi soir et Dimanche on amène beaucoup de blessés à Orléans.
A 8 heures à Recouvrance enterrement du soldat Petitpret 8ème d'Infanterie mort rue des Turcies dans le chloroforme. C'est un mineur de la région de Béthune
Visite de Mlle Lefaucheux de la rue de Coulmiers. Elle vient du quartier Rossat.
Le soir à 8h conférence de St Vincent de Paul. Lettre de Mr de Larosière datée du Havre 57 Bd François Ier. Conférence de St Paterne rue Bannier 113. Place du Vieux Marché 16.
Bon pour 2 K de pain.
Famille Joly 67 rue des Murlins.
17 Mardi.
Ouverture de la neuvaine de St Aignan. Le matin Mgr et le grand séminaire. Le soir sermon par le chanoine Barbier
18 mercredi
Le matin à 9h gd messe à St Aignan. Lettre de Mr de Laas 16 rue de l'Université. Lettre de Lucien du 10 novembre. Il accuse réception d'une lettre de sa mère du jour de la Toussaint et d'une couverture blanche et de caleçons que lui avait envoyés Marie Louise. Il trouve que leur rôle est bien passif. On lui a dit que Toubin avait été tué. Nos troupiers ont reçu successivement un Jersey, une chemise de flanelle un caleçon de tricot une couverture et on leur promet des chaussettes et des tentes. La direction de l'Intendance est digne de tous éloges elle donne du chocolat, du vin, de l'eau de vie, du thé, la ration de sucre a été doublée. Le pain est redevenu très bon la viande est variée alternativement du boeuf et du mouton, parfois du porc. J'ai eu le bonheur de communier la veille de la Toussaint. Il m'est difficile d'aller à la messe car je prends ou je quitte le service de 24h le matin. Départ à 6h1/2 Je trouve mon camarade Cochard - entre 7h1/4 et 7h1/2. Il faut se passer les renseignements sur le travail et celui qui rentre ne le fait guère avant neuf heures. Les églises sont démolies il faut chercher les chapelles.
Madame Cécile Blanchard vient déjeuner avec nous.
Après déjeuner elle emmène Madame Soudé et Marie Louise à sa campagne de Germinette où ces dames font une promenade en barque sur le Loiret avec d'autres invités.
La dépêche officielle parle d'une tentative des Allemands pour passer l'Aisne à Vailly. [ En marge : ] quelques obus sont encore tombés sur la ville de Reims. Du côté d'Armentières combat d'artillerie. Le journal dit que les batteries allemandes qui bombardent Armentières sont établies à Englos ou il y a un fort de la ceinture de Lille. [ signe de renvoi en bas de page ]
De nouveau on voit circuler beaucoup d'attelages de mules conduites par des Indiens. On dit qu'il arrive beaucoup d'Indiens et qu'ils campent près de la Source du Loiret. Un Belge qui vient de la
[ note en bas de page ] Les Allemands occupent encore Chavoncourt [ Chauvoncourt ] sur la rive gauche de la Meuse, caserne de St Mihiel.
région entre Meuse et Sambre, dit, plusieurs civils et curés ont été fusillés par les Saxons dans les journées du 24 au 30 août. Une arrière garde de Français aurait résisté dans Marienbourg et les saxons auraient brûlé 70 maisons. A Couvin, chef-lieu de canton, les Allemands ont fusillé 41 malades et brûlé une partie de la ville. Le 24 aout ils ont bombardé Surice près Romedenne.
19 Nov. Jeudi.
J'avais fermé les eaux hier soir, mais toute la nuit le petit robinet a coulé dans la cave du n°12.
L'après-midi grande promenade à la Chapelle [ La Chapelle-Saint-Mesmin ] . Il parait que les Anglais occupent le séminaire pour ambulance ou hôpital et qu'ils ont un entrepôt à la gare où ils occupent le magasin de Mr Dessaux.
Le soir dans son sermon très optimiste, l'abbé Barbier parle de l'union complète de tous les français depuis la déclaration de guerre et il cite l'article du journal Le Patriote de ce jour Vendredi 20 nov. En voici le résumé : Le Chauffeur du Ministre - L'abbé Dupont premier vicaire de la paroisse Saint Bruno à Bordeaux serait le chauffeur de Jules Guesde. Le rédacteur du Héraldo en conclut : le petit détail c'est toute l'admirable France de 1914.
20 Nov. Vendredi.
Je reçois une lettre de l'évêché de Soissons datée du 16 nov. timbrée de la gare de Soissons. Ce Mr. - impossible hélas de vous renseigner Mgr. est sans nouvelles de la Thierarche. Ce que nous savons de la Hérie encore occupé par les Allemands c'est qu'il ne faut pas compter retrouver grand-chose de ce village. Le curé est soldat ambulancier. Sa grandeur pleine de religieuse compassion vous envoie dans vos légitimes angoisses une affectueuse bénédiction. Puisse-t-elle vous réconforter ou du moins alléger un peu votre affliction. votre tout dévoué Parmentier Vic. Général. [ Vicaire général ]
Carte des cousins Bessereau qui restent unis avec nous dans la douleur pour pleurer ensemble les chers martyrs qui ont si généreusement donné leur vie. Pendant huit semaines d'agonie le pauvre Max n'a
jamais eu une plainte.
Extrait d'une lettre de Lucien à sa femme du 15 nov. La Cie est à la caserne, deux sections travaillent en ville, une section est de garde, la quatrième à la disposition d'un commandant d'avant-postes. Dans un premier temps ce service était très pénible c'était un travail de jour et de nuit sans arrêt. Après 24h on revenait au quartier. Maintenant les avant-postes sont si confortablement installés qu'il n'y a plus rien à faire. On a creusé partout dans les tranchées où l'on est à l'abri de tout. Quand il y pleut on évacue l'eau avec des pompes. Chaque tireur a fait son petit appartement pour être confortablement installé derrière son créneau. Des menuisiers leur font des guérites tout comme pour les factionnaires du temps de paix. Le travail n'est ni pénible, ni pressé. Alors mon capitaine a décidé qu'il est inutile de relever chaque jour cette section. Donc ce matin, au lieu de voir arriver mon camarade Cochard, je vois venir le cycliste qui m'apporte une note du capitaine : - La section ne sera relevée que tous les trois jours. Et moi qui avais tiré mes plans pour filer bien vite à la messe (dimanche 15 novembre) sitôt que j'aurais réuni ma section au quartier ! Je reste donc dans ce petit pays de banlieue au milieu des châteaux et villas crevés par les obus avec deux malteries qui brulent l'une depuis 3 semaines, l'autre depuis deux jours. Les fantassins se distraient à détruire à coup de fusil brique par brique les murs de la poste dans laquelle les prussiens sont retranchés. Inutile de dire que le civil est une espèce inconnue dans le pays. Quand les habitants reviendront, ils feront bien d'apporter une tente et des couvertures pour camper dans leurs maisons s'ils les retrouvent. C'est vraiment affreux... ... Mon capitaine m'a confié un travail : Tenir le journal de bord de la Cie. C'est à cela que je m'occupe quand je suis à côté de lui. Lui est appelé à vérifier une pièce de comptabilité qu'on lui réclame depuis 8 jours.
Il a gelé cette nuit pour la première fois et il est tombé quelques flocons de neige mais ils ont été suivis de pluie.
21 Samedi. Fête de la Présentation
Nouvelle lettre de Lucien, mais antérieure à celle du 15. Il a reçu le sac ou plutôt l'enveloppe imperméable.
22 Dimanche.
Messe des hommes à St Paterne. Sermon sur le prêtre homme liturgique. À midi je vais au Lycée mais la chapelle est trop froide pour moi. Je vois le zouave et les deux allemands. Vêpres sermon et salut à St Aignan. L'abbé Barbier affirme que Dieu veut le salut de la France qu'il confond immédiatement avec le succès de nos armes.
23 Lundi.
Départ de deux cents hommes du dépôt. Embarquement de petites voitures indiennes au quai de la grande vitesse.
Je donne à lire l'encyclique au cordonnier qui est malade depuis 15 jours.
Réparation de la fenêtre du 3ème au n°12 changement du caoutchouc du robinet, d'arrêt au 12. - Madame Soudé donne mon lit cage (le 1m) et un petit - matelas au directeur du gd séminaire ou se trouve depuis peu un hôpital temporaire lequel succède à la Croix rouge de Melun. Il y a là parait-il 55 blessés.
Lucien ayant écrit au capitaine Cdt la 11ème Cie du 84 a reçu la réponse suivante : 27 oct. 1914 Mon cher camarade : C'est depuis peu que je commande la Cie à laquelle votre frère appartenait je n'ai donc pas eu l'honneur de le connaitre. Sur mes contrôles il est porté disparu à la date du 30 août. Renseignements pris, la Cie ayant dû la veille céder le terrain à Le Hérie la Vieville, il est resté sur le terrain comme blessé. Je n'ai pas connaissance qu'il ait depuis correspondu avec ses camarades. Regrettant de ne pouvoir vous renseigner plus complètement, je vous prie d'accepter l'affectueuse poignée de main d'un camarade de combat. [ signature illisible ]
[gras;24. Nov.] Mardi.
Chaubernard met en place la tête tournante sur le tuyau de cuisine de mon locataire du n°12. Rousseau.
Madame Soudé et Marie Louise cousent les peaux de mouton. Je télégraphie à M. Hamy que je désire accompagner Marie Louise demain mercredi. Je donne à lire le 2e vol. de Ste Elisabeth de Montalembert à la famille Joly 67 r des Murlins ainsi qu'une vue de St Aignan.
D'après les dépêches la lutte d'artillerie est toujours très vive. Les Allemands bombardent Ypres, Arras, Soissons et Reims.
Lucien écrit que le génie dépave les places et rues d'Arras parce que les obus en tombant y produisent des éclats de pierres fort dangereux pour les passants.
25 Nov. Mercredi.
Il a neigé cette nuit. Malgré cela nous partons pour Paris à 11h30 avec Marie Louise. Train omnibus. Arrivée à 4h35 à Austerlitz. Diner chez me Hamy.
En traversant la Beauce je remarque qu'il y a peu de blés levés, peu de terres labourées. Je ne vois que deux ou trois voitures roulant du fumier.
26 Nov Jeudi
Messe à St Sulpice. Déjeuner chez Madame Charlot. Bizouerne blessé fracture du bras droit. Ambulance à Nantes transport par mer de Dunkerque sur un transatlantique la Bretagne je crois - Visite chez la tante Lanson. Raoul Penot est venu passer trois jours à Paris puis il est retourné à son dépôt à Decize pour se refaire. Marie Madeleine et Mlle Penot y sont allées pour le voir plus longtemps.
Michel candidat à l'X [ Ecole polytechique ] fait surtout des exercices physiques. Il partira sans doute avant le 15 Xbre [ décembre ] . Le caporal René Lanson s'est fait attacher à l'Etat-Major du 117ème 16ème Brigade 4ème Corps, dépôt au Mans. Il parait qu'il recopie des cartes. - Le soir visite chez Mme Callies. Ses deux gendres et quatre fils à la guerre. Paul dans l'artillerie venu d'Afrique de la Manouba. deux fils chasseurs alpins du regt. d'Annecy comme Henri Deries disparu à Roye. Jean Deries le jésuite sous-lieutenant d'artillerie.
27 Nov. Vendredi.
Messe à St Sulpice. uvre de Secours de Guerre. Société fondée par les commerçants et sergents de ville des 6 et 14e arrondissements. Siège : Séminaire de St Sulpice.
Beranger est à Lourdes. Ses trois fils sont allés à la guerre. Les ingénieurs du GM [ Génie Militaire ] sont allés dans les ports. Mr Callies est à la disposition du génie mais on ne lui demande rien. Il est allé à Annecy pour ses affaires.
Max Bessereau a été blessé d'une balle qui s'est logée dans la colonne vertébrale et a coupé la moelle épinière. Paralysie. Plaies profondes par tout le corps. Trouble à la vessie, au foie. Fièvre violente 42°.
L'abbé Faucher curé doyen de Ligueil. Retour à Orléans par le train de 3h43 d'Orsay.
28 Nov.
Enterrement du soldat Lalante du 268e décédé au lycée de garçons. Le père fermier au petit Berger par Mézières en Brenne (Indre).
29 Nov. Dimanche.
Grand-Messe à Fleury les Aubrais. Sermon par le père Gillet (procession au Cimetière). Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur. Ceux qui meurent pour faire leur devoir sans penser à Dieu explicitement, meurent-ils dans le Seigneur ? Le prédicateur le croit fermement sans pouvoir en donner la preuve théologiquement. - C'est le grand père du jeune abbé Héret qui conduit la procession comme sacristain. Au cimetière les tombes sont très bien entretenues et ornées de fleurs même celle du soldat allemand du 74ème Rgt, même celle du soldat inconnu. - A 1h1/2 visite de M. de Champfeu. Lettre de Lucien ou plutôt carte ad usum pigrorum [ à l'usage des paresseux ] .
30 Nov. Lundi St André.
Lettre de Lucien papier à entête du 24 Nov. Dépôt de matériel du génie d'Arras. Dégel après huit jours de belle gelée. « Nous continuons à travailler non seulement avec nos sapeurs mais avec des compagnies d'infanterie à notre disposition. On pourrait nous donner des galons de chef de bataillon. J'ai croisé ce matin des détachements de jeunes conscrits de la classe 1914 équipés tout à neuf. La moitié d'entre eux ont des figures de gosses à côté de tous les réservistes et territoriaux que nous sommes habitués à voir. D'ailleurs ceux de l'active ont bien vieilli. Ils sont crasseux et barbus. ......... J'ai pensé que c'était peut-être le
renfort de leur clan que l'on attend pour repartir en avant .....
L'après-midi promenade autour de la ville avec le jeune Pierre de Champfeu à six heures il va à la salle de réunion des soldats rue Pasteur, il achète un plan de la ville d'Orléans.
1er Décembre mardi.
Duval m'accuse réception du paquet que je lui avais adressé le 18 Novembre (toque de fourrure.)
Il pleut toute la journée.
2 Décembre mercredi.
Beau soleil. Je vais voir la cousine Chauvelin dont la mère est morte lundi soir à l'âge de 85 ans. Elle me dit que son mari est atteint d'anémie cérébrale. - [ Lien vers la correspondance ]
dimanche 2 août 1914 [ signe religieux signifiant Jésus ]
84 Rt d'Infanterie 11e Compagnie
Chers Parents.
Je crois que définitivement nous y sommes.
Depuis hier matin à 3h c'est le travail sans répit pour habiller, préparer, approvisionner. J'ai pu sortir deux fois hier pour aller au magasin du corps. J'en ai profité pour faire quelques petites emplettes. J'ai reçu votre lettre du 31 juillet. Ce sera la dernière qui m'arrivera régulièrement. Aujourd'hui je suis au poste en service de garde. Et le service est sérieux, je vous réponds.
Quand vous voudrez m'écrire mettez cette adresse- 84e RI 11e Compagnie. Il n'y a plus de nom de localité à mettre. Si nous partons, ce ne sera pas avant le 2e ou 3e jour de la mobilisation. Je partirai en ce cas sous les auspices de St Dominique dont c'est la fête le 4 août. Aujourd'hui au Saulchoir c'est la fête de l'Ordination ; demain les premières messes. Après demain la fête de St Dominique. J'avais demandé 48h pour y aller !!! Mais je ne pense pas à la guerre proprement dite. - Je suis tout occupé à ces manipulations et comptes d'effets de toutes sortes. C'est un branlebas indescriptible. Les hommes sont maintenant en effets de guerre, n'ayant plus rien d'autre. C'est le moment de monter et de bien garnir son sac. N'empêche que si on ne partait pas, .... Eh bien il y aurait une sorte de désappointement. Tout ce travail-là pour rien ! Je comprends les frais d'une mobilisation à voir ce déballage en masse d'habillements neufs, salis et froissés tout de suite. Et puis il faudrait aller chercher tous ces effets versés au magasin en tas et en piles. Tout est perdu, mêlé, pilé. On en a extrait au hasard des paquets par dix et vingt pour habiller après-demain les territoriaux. On en a envoyé dans les gares, partout.
Mais je dois vous parler un peu de moi. M. Delrue est venu me voir au quartier. Entre parenthèses, il a distribué 400 médailles (la moitié du bataillon). Le Père Hugueny lui a envoyé pour moi 50fr Il m'annonce aussi 50fr de vous. C'est plus qu'il n'en faut emporter
en une fois, à cause du risque de perte.
Je ne peux pas venir à bout de ma pauvre lettre. Je suis dérangé à chaque instant. Ici tous ceux qui sont arrivés de la ville sont décorés d'un petit drapeau tricolore, vendu au bénéfice de la Croix Rouge.Est-elle mobilisable aussi ?Cela me fait songer que maman est aussi de la Croix Rouge. Est-elle mobilisable aussi ? Je m'étonne d'une chose qu'elle ne soit pas arrivée bien vite m'embrasser. Les trains marchent jusqu'à ce soir et je ne serais étonné de la voir venir. Mais à tout hasard j'écris cette lettre que je donnerai à M. Delrue, pour la faire mettre à la poste quand le moment de premier affolement sera passé. Ici le moral me parait très bon. C'est l'activité joyeuse et confiante partout. Il se raconte des affaires invraisemblables. Tout se dit et se dédit. Mais on dit toujours, avec la conviction et l'opportunisme du français que les Allemands sont frits d'avance ! Qu'ils sont cernés entre France et Russie.
Peut-on rire assez de la bravoure italienne, qui juge prudent de ne pas bouger ! - Je n'ai guère l'idée de penser que c'est aujourd'hui dimanche.
Quel dimanche !
Enfin le Bon Dieu veille sur notre famille. Lucien est évidemment à son régiment. Mais que va devenir cette pauvre Marie-Louise ! A-t-elle une place marquée dans une ambulance quelconque ?
Chaque homme fait un ballot de ses affaires personnelles, à l'adresse de ses parents pour être réexpédié chez lui après la guerre.
Ici tout le monde parle de la guerre comme si on se battait déjà à la frontière. C'est peut-être vrai.
J'ai commencé à noter en quelques lignes ce qui m'arrive chaque jour. Je mettrai l'adresse sur ce carnet. Je vous fais une recommandation : Si nous partons je n'aurai ni le temps ni l'argent d'envoyer des nouvelles au Saulchoir. Il faudrait donc que tout ce que vous
recevrez de moi en campagne, vous le fassiez ensuite parvenir au couvent. Compris ?
Et maintenant je vous embrasse. Soyons fort dans notre foi en Dieu qui donne la victoire. Je n'ai rien écrit à Lucien ni à Marie-Louise. Prions tous ensemble
fr. Ignace - [ Lien vers la correspondance ]
Mézières-Charleville-gare Ardennes 22.10 7-8 14
7 août.
Chers Parents
Nous voici au petit poste installés en plein vent sous la pluie pour garder les ponts de la Meuse. Je suis du 1er Corps d'armée et tous les journaux en parlent. Vous saurez à peu près où je suis. Général Franchet d'Esperey. Général Gallet, Général Sauret. Jusqu'ici nous avons bien couché dans du bon foin et à peu près bien mangé. Nous nous approchons des Prussiens. Le soldat est confiant, les habitants pleins de bonté pour nous.
Affectueusement et unis de prière.
f. Ignace
84e RI 11e Cie.
[ Lien vers la correspondance ]
du 10 ou 12 aout probablement
Note. Cette lettre n'est pas datée mais elle s'intercale bien entre celle du 7 (carte lettre de Mézières) et celle du 14.
[ signe religieux signifiant Jésus ] 84e RI - 11e Cie. -1er Corps d'Armée
Chers Parents.
Voilà mon adresse invariable pour tous pays. Je ne puis vous dire où je suis et cela me retire beaucoup de matière à ma correspondance. On ne veut pas qu'une lettre égarée renseigne l'ennemi sur notre position. C'est dommage car je suis dans un pays splendide et par bonheur nous avons là un jour de repos, à cause d'un régiment qui a beaucoup trop fatigué hier. Nous continuons la marche en avant sans fatigue extrême au moins pour nous. Dans vos lettres, ne m'inondez pas de cartes postales timbrées ; nous donnons nos lettres sans timbre, et je crois que les cartes postales ne sont pas admises, parce que plus ou moins elles portent une indication du pays traversé. Enfin nous n'avons toujours pas vu de casque à pointe, depuis tantôt - huit jours que nous sommes partis. Nous nous contentons d'apprendre les victoires des autres.
Vous n'êtes pas probablement mieux renseignés sur la situation de Lucien. Et Marie-Louise ? Certes c'est bien dur de voir partir tous les siens. C'est plus dur pour vous que pour nous ; car vous ne savez rien tandis que nous autres .... Nous ne nous croyons pas à la guerre, il s'en faut. Nous n'avons encore ni entendu ni tiré un coup de feu. Nous avons vu quelques Uhlans, mais prisonniers ; la population est très accueillante. On nous donne tout et on ne veut pas que nous payions. Quant aux troupes elles sont excessivement calmes, un peu fatiguées de n'avoir pas encore combattu, mais si j'en dis tant que cela on va mettre ma lettre au panier.
M. Delrue m'a donné les 50fr. Le Père Hugueny m'avait envoyé pareille somme. Je puis faire campagne six mois. On prend bien l'habitude de
coucher dans les granges sur le foin et la paille. Mes pieds ne m'ont pas trop fait souffrir. Enfin j'ai eu le bonheur, trois jours de suite, de faire la Sainte Communion avant le départ du matin.
Pour parer à tous évènements, on m'a envoyé du Saulchoir un mot de recommandation à la charité de tous les prêtres ou fidèles. Je ne suis pas perdu.
Enfin ne vous étonnez pas du retard des lettres. J'ai reçu le 9 vos lettres du 2 où papa me pariait qu'il n'y aurait pas la guerre. Il avait perdu.
je vous embrasse bien tous, toute la famille. Maman est-elle bien courageuse dans son épreuve ?
Bien à vous en NS [ Notre Seigneur ]
fr Ignace - [ Lien vers la correspondance ]
14 août
[ signe religieux signifiant Jésus ] 84e RI 11ème Cie 1er Corps
Chers Parents
Le 84 a livré sa première bataille hier jeudi 13. Combien bénigne. C'était la fusillade emballée contre un aéroplane allemand qui s'avisait de nous repérer sur la route. On a tout dit sur l'issue de cette tiraillerie. On a même raconté toutes les péripéties de sa chute. Finalement personne ne peut dire ce qu'il est devenu. Dès qu'un oiseau de ce genre apparait, tout le monde se « muche » et disparait où il peut. C'est le gros évènement des marches. Depuis deux jours nous n'avons plus aucune régularité d'existence. La chaleur du jour nous oblige à marcher la nuit. Nous avons fait une rude étape aujourd'hui au moins 32 Kilomètres, 9 heures de marche avant d'arriver à la grande halte. Puis un bon kilomètre encore après, pour aller cantonner dans un petit village, où la générosité des habitants, toute stupéfiante, ne peut pourtant suffire aux besoins de deux bataillons. Le plus triste c'est que j'ai dû caler en route. Au 8ème kilomètre
j'ai lâché la compagnie et dans le fossé j'ai regardé défiler tous les autres bataillons, les voitures, les mitrailleuses etc., etc., et, tout en queue, j'ai posé mon sac à la voiture d'ambulance. Je n'ai fait que 4 Kilomètres en voiture, tout le reste à pied, mais délesté du sac. C'est ainsi que je marchais dans le pays qui m'est si cher pour les souvenirs que j'y ai laissé l'an passé.
La cause de ce calage, c'est mon pauvre pied droit menacé de nouveau d'un abcès semblable à celui de cet hiver.
Je suis allé voir mon ami Bolle qui m'a exempté de sac pour demain et réservé une place en voiture.
D'ailleurs la rougeur semble s'amollir et peut-être cela se dissipera sans former de pus. Mais j'ai les ganglions de l'aine fort enflés ce qui demande du repos.
Au moins n'ai-je pas manqué de victuailles en route. Tartines de pain, beurre, confitures, café, lait, bière etc. etc., tout cela à profusion tout au long de la route. C'est un accueil triomphal, - triomphal. Depuis quatre jours je ne puis plus arriver à communier le matin avant le départ, précisément à cause de ces départs trop matinaux.
Je reçois vos lettres - régulièrement ? C'est la troisième depuis mon départ. J'écris tous les trois ou quatre jours. Voici mon adresse encore :
84e - 11Cie - 1er Corps d'A [ Armée ]
J'ai reçu une longue lettre du Saulchoir d'où la plupart des frères sont partis, appelés par le service de l'armée ou des diocèses.
Je vous embrasse et vous remercie de vos chapelets f. Ignace
Ne m'envoyez pas d'enveloppes timbrées, ni de cartes postales.
Pour l'Assomption : le canon tonne sans arrêter à 20 Kilomètres de nous. - [ Lien vers la correspondance ]
13 août [ signe religieux signifiant Jésus ] 84e Régiment 11e Cie, 1er Corps d'Armée
Voilà, mon cher Lucien, mon adresse invariable pour tous pays. J'ai fort heureusement reçu aujourd'hui mercredi 12 ta lettre du 5. Où es-tu maintenant ? C'est peut-être le plus pénible : pouvoir s'écrire sans pouvoir dire où l'on est, ni même ce que l'on fait. Je te dirai bien que nous avons pris le train, puis que nous avons marché à pied - que même nous avons du repos abondant au milieu de nos fatigues.
Mais tu t'en doutais bien un peu. Et après ? Nous sommes dans un pays splendide. Et si ce n'était le chargement, je prendrais une collection de cartes postales ! je note chaque jour en qqs [ quelques ] lignes les évènements afin de m'y retrouver si j'en reviens ou de renseigner ceux pourraient s'intéresser à mon sort. Tu as eu un bien beau rôle auprès de tes sapeurs. Le mien est de plus modeste, car je ne pouvais pas faire paraître de notes au rapport concernant les abbés... M. Delrue, à Avesnes a vu avant le départ près de 350 h. [ hommes ] . Ils
venaient chercher une médaille et entendre ses paroles. Il y avait là beaucoup d'engouement superstitieux, mais cette démarche publique a bien tout de même sa valeur.
Hier, j'ai profité d'une journée de repos pour aller communier avec 2 autres. De même dimanche dernier (9 août). Nous ne nous douterions guère que nous sommes à la guerre. Cela ressemble beaucoup plus à des grandes manoeuvres. En somme nous allons engraisser si cet excellent régime riz haricots et haricots riz continue longtemps. Si ta compagnie est moins païenne que tu ne pensais, ma section n'est pas devenue plus morale. La réserve y met beaucoup du sien pour forcer la dose. En ce moment où nous ne sentons pas du tout la proximité du danger, il y a un laisser-aller énorme à ce point de vue. On profite de la liberté générale plus grande du service de campagne. Quand ils auront entendu les balles et vu tomber leurs voisins, ils seront plus religieux. - Ma santé est excellente, je t'embrasse, mon frère d'armes. J'ai vu du génie miner un pont, mais c'était le 3ème. Ton frère fr. Ignace.
Ici devrait s'intercaler la lettre du 14 août avec postscriptum du 15 qui, se trouve, par erreur, transcrite avant celle du 13.
[ Lien vers la correspondance ]
[ signe religieux signifiant Jésus ] 20 août
Mes chers parents. Il me semble que je reçois bien toutes vos lettres, en est-il de même pour vous ? A la rigueur je pourrais me passer de vos nouvelles car vous ne courrez aucun danger. Mais vous vous inquiétez à plus juste titre sur mon compte. En ce moment nous sommes t [ tout ] à fait à l'abri. Voici comme s'est passé notre progression en avant : les sept premiers jours étapes régulières et courtes de 15 à 20 kil. Puis repas dans un pays splendide où nous trouvions en abondance l'eau et les vivres. Cela a duré plusieurs jours. Soudain coup de tampon. Trois fois de suite marche de nuit, longue étape, progression rapide. C'est à la fin de cette période que j'ai perdu mon régiment pendant 24 heures. Je vous dirai comment. Depuis ce temps nous sommes face à l'ennemi. Il ne bouge pas plus que nous. Nous sommes occupés aujourd'hui à nettoyer les armes et à laver le linge. Je vais laver mon caleçon et grâce au beau soleil, je le remettrai ce soir. Mais nous sommes constamment dérangés par les aéroplanes, allemands ? Français ? On se cache - en toute circonstance. C'est plus sûr. Avant-hier, nous en avons pris un. Les mitrailleuses ont brûlé 850 cartouches pour en placer 8 dans le moteur et le pilote. Nous sommes maintenant dans le pays où j'étais l'an dernier, mais pas dans la même région, comme vous supposez. Le 15 août il y a eu un combat assez vif. Le régiment comptait 5 frères dominicains. J'en ai revu 3. Ils ignoraient le sort des 2 autres. Ce fut un succès malgré les mitrailleuses allemandes très redoutables. Notre artillerie les a réduites. Nous avons un peu partout des batteries qui guettent l'ennemi. L'autre jour, elles voyaient construire un pont. Quand il fut terminé, Vlan un obus au milieu. Ouvrage à refaire. Quant aux petits fantassins, les jours où ils ne marchent pas, ils sont occupés au service de garde. Cela revient à peu près une nuit sur deux sinon plus. Depuis 4 jours, je n'ai dormi tranquille qu'une fois ; les autres c'était entre chaque heure l'obligation d'assurer la relève des sentinelles. On dort très bien dans la paille ou le foin pourvu qu'on en ait épais sur soi. Cette nuit j'étais installé sous un toit sans cloisonne-
-ment latéral en appentis contre un pignon de ferme. Jamais encore je n'ai mieux dormi. La nuit était claire. J'ai trop bien dormi car le capitaine est venu faire une ronde et a constaté que le chef de garde dormait. J'ai récolté un savon et un tour de garde supplémentaire. Un de plus ou de moins. Je ne les compte plus. Tous ces villages sont exaspérants. Ils ont tous des issues à garder. Je vous avais écrit que j'étais menacé d'un abcès au pied. La menace était claire, certaine. Je me suis muni de teinture d'iode et j'en ai mis. Néanmoins j'ai dû caler le lendemain et mettre mon sac et moi en voiture. A la visite mon ami Bole m'a dit d'aller en voiture le lendemain. C'est qqf. [ quelque fois ] mauvais d'avoir des amis. Il m'indiqua une voiture (à minuit). Nous étions 5 ou 6 avec une trentaine de sacs. Je m'endormis tranquillement. Soudain : « Tout le monde en bas !» Pourquoi ? Le cheval est malade, il faudra marcher à pied. En route. A trois Kil arrêt. L'artillerie passe devant. Je demande : Et le 84 ? Réponse : Nous ne le suivons pas, nous allons au ravitaillement du Corps d'Armée. J'eus l'intention de rattraper le 84e en avance sur nous d'une heure, mais c'était imprudent car nul ne - pouvait dire son point de ralliement. Alors, puisque le convoi le ravitaillerait un jour ou l'autre, mieux valait suivre les voitures. Quelle promenade ! Refaire en sens inverse la route de la veille et plus loin encore vers un pays nouveau. Marche de 5h à 10h. Arrivé enfin. Que de voitures de toutes sortes. J'allai au village où le curé me donna un bon déjeuner. On repart à 14h, à pied puisque le cheval est
maladefourbu. Le pèlerinage dure jusqu'à 7h. On attend des ordres. Il commence à pleuvoir à verse et tout semble se disposer pour que nous passions là la nuit. Que c'est triste ces nuits dehors ! A 8h un ordre En avant ! Encore 9 Kil à faire dans la nuit sans lanterne à travers bois, le terrain très accidenté, route peu connue. Cela a duré jusqu'à minuit et demie. J'étais en compagnie d'un séminariste qui me passait de temps en temps son vélo. A minuit et demie, arrivée dans un village bondé. On a trouvé une grange avec une demi-botte de paille par homme. Brrr ! Ma capote, mon pantalon sont trempés. Réveil à 4 heures pour repartir à la recherche du 84e. Ce fut mon 15 août, ma fête de l'Assomption.
Le régiment fut retrouvé.
Hier j'ai assisté à une chose superbe. Le régiment logé avec le nôtre a un aumônier. J'entrai à l'église, c'était le Salut. L'église pleine de soldats debout. A terre des jonchées de paille. On a dû y coucher. Et ces soldats disaient le chapelet, chantaient, priaient. Les Séminaristes étaient à l'harmonium pour entrainer.
Il y a longtemps que je n'ai pu communier. Ce sera je crois pour demain. Ce n'est pas facile, nous avons réveil à 3 heures. Je vous redis encore de ne plus m'envoyer de timbres sur les enveloppes ni de cartes postales illustrées.
Et je vous embrasse affectueusement. J'ai eu un mot de Lucien mais avant son départ. Depuis plus rien.
J'ai reçu le 19 votre lettre du 15. Bonne mère je suis content de vous savoir courageuse. Lucien encore moins en avant que moi n'a rien à craindre pour l'instant. Marie Louise peut être tranquille. Ah, j'oubliais de vous dire que la Sainte Vierge guéri mon pied au cours de la marche de 40 kil que j'ai faite le jour de sa fête.
Je vous embrasse fr. Ignace - [ signe religieux signifiant Jésus ] Avesnes - Dimanche 1914
[ Lien vers la correspondance ]
In Ramis Palmorum [ Aux Rameaux ]
Mes chers Parents.
Me revoilà parti au train-train quotidien. J'étais exempt de chaussures c.à.d. [ c'est-à-dire ] que je devais rester en chausson jusqu'à Jeudi. Je me suis représenté à la visite, et le major m'a fait reprendre le service. [ ... ]
Nous faisons la petite guerre, contre la classe 13 qui faisait ses marches d'épreuves. [ ... ] Les classes 11 et 12 devaient s'opposer à la rentrée de la classe 13 et naturellement devaient être battues, puisque de toute nécessité, il fallait revenir manger la soupe à 5h. Départ à 12h30 sur la route de Landrecies. Puis oblique à droite, passés à Dompierre. [ Dompierre-sur-Helpe ] . [ ... ] La classe 13 devait nous arriver de St Rémy Chaussée. [ ... ]
..............................................................................
Après ce brillant fait d'armes, la classe 13 qui avait eu fort chaud, « comme nous aussi, est partie en permission de 15 jours.
Je me trouve tout moulu et courbaturé de cette rentrée vigoureuse en scène. Ma blessure au pied se porte bien. Une très légère inflammation révèle seulement que le pied a fatigué à cet endroit. [ ... ]
..............................................................................
Avez-vous su par Lucien à qui je l'ai écrit, la vilaine affaire qui m'est arrivée avec mon lieutenant ? J'avais dit à maman que je me brouillais avec lui. Je ne croyais pas cela sérieux. Ca l'était. - Il s'agit d'une lettre adressée au capitaine par le P. Hugueny à propos de mes demandes de permissions de Belgique, finalement refusées. Le P Hugueny avait cru bon bien faire en signalant au capitaine ma situation et en exposant ce que les autres frères avaient fait. Le capitaine s'est offensé de cette lettre. D'ailleurs, plusieurs détails et arguments ne pouvaient être connus du Père que par moi. Le lieutenant qui a pris l'affaire à son compte en l'absence du capitaine, ayant rapproché d'une façon exagérée mon écriture et celle du Père, en a conclu que j'étais l'auteur de la lettre. Il a essayé par tous les moyens d'un interrogatoire en règle d'une heure ½ de me faire dire que j'avais écrit cette lettre. ou au moins que j'en avais fourni les idées, que je l'avais demandé. Il se joint à tout cela des circonstances malheureuses de nature à fortifier l'accusation : ne sachant pas le nom du capitaine, le Père m'avait envoyé la lettre pour que je l'adresse moi-même.
Mon écriture se retrouve sur l'enveloppe etc. etc. Bref, le lieutenant, bien que n'ayant pas pu me faire avouer une chose que je n'avais pas faite, et dont je fus du 1er coup abasourdi, me déclara qu'il prenait comme chef actuel de la compagnie, une sanction : me rayer du peloton. La décision était néanmoins remise au commandant. Cela se passait lundi. Depuis ce jour, plus rien... Que s'est-il passé ??? Attend-on le retour du capitaine ? Le commandant a-t-il trouvé l'accusation forcée ? - Le lieutenant en question n'est pas celui que papa avait rencontré en chemin de fer. Mais celui qui s'occupe du peloton. Il parait que vous m'aviez recommandé par l'intermédiaire de celui que vous aviez vu, à celui du peloton. Ce dernier m'a dit au cours de l'interrogatoire qu'il se moquait assez de ce genre de recommandation, qu'il en tenait compte dans le mesure où l'individu le méritait et comme en l'occurrence, j'étais accusé ouvertement d'indiscipline, de calomnie etc. etc. la recommandation paraissait agir en sens inverse.
Bref ce fut une pénible affaire, - d'autant plus que c'était comme religieux qu'il m'accusait : religieux manquant au devoir militaire et apportant dans l'armée des idées et des moeurs indisciplinées.
Je n'y suis pour rien et le Bon Dieu arrangera cela. Ne vous inquiétez pas plus que moi. Je laisse cela s'éteindre et s'apaiser. Comme cela en a l'air- et je m'en vais à la bénédiction des rameaux.
Je vous embrasse
f . Ignace.
[ le postscriptum de la lettre originale n'a pas été recopié par Henri Soudé ]