Zoo humain ou exposition ethnographique ?
Le Village noir de l'exposition d'Orléans en 1905
L'exposition industrielle et des Beaux-Arts d'Orléans
En séance du Conseil municipal d'Orléans du 16 décembre 1904, le premier maire adjoint, Emile Biscara, fait savoir qu'Albert Vigé, administrateur de l'exposition de Nantes, a sollicité la Ville afin d'organiser à Orléans une exposition industrielle et des Beaux-Arts qui pourrait avoir lieu de mai à septembre 1905. Il précise qu'Albert Vigé veut tout organiser à ses frais et qu'il a déjà l'expérience de l'exposition de Nantes, réalisée en 1904, et précédemment de celles de Reims, Lille et Poitiers. Immédiatement, la demande suscite deux types de réaction. Des élus pensent qu'une telle manifestation ne peut être que bénéfique pour le commerce local. D'autres, au contraire, émettent des réserves sur la faisabilité d'une telle manifestation à Orléans et sur le fait que des exposants souhaitent bien venir dans cette ville. Mais, Albert Vigé propose, dans son offre, d'amener avec lui une série d'exposants avec lesquels il a déjà travaillé sur les expositions précédentes. En effet, Albert Vigé, né en 1862, est alors un organisateur renommé d'expositions privées.
A l'issue de cette séance, la question est soumise à la commission des finances. Le 19 décembre suivant, le rapport présenté est unanime quant à l'intérêt du projet. Dans la séance du 24 décembre, les élus vont adopter le texte de la convention à passer avec Albert Vigé. Il y est précisé que la manifestation se déroulera du 1er mai au 31 juillet 1905. Le terrain mis à disposition se situera entre le Carré Saint-Vincent et le boulevard Saint-Euverte sur une superficie de 3 000 mètres carrés. L'entrée sera de 1 Franc par visiteur en dehors de cas spécifiques listés dans la convention.
L'objectif de la manifestation est d'attirer un grand nombre de visiteurs étrangers à la ville et d'en faire bénéficier ainsi le commerce local. Albert Vigé promet des attractions nouvelles toutes les semaines : festivals de musique, fêtes aérostatiques, fêtes des fleurs, fêtes enfantines, expositions horticoles, expositions des Beaux-Arts, expositions canines ou encore concours d'alimentation. A l'appui, il vante les résultats des foires qu'il a précédemment organisées. Malgré cela, le Syndicat du commerce et de l'industrie orléanais proteste indiquant que l'exposition proposée n'est pas sérieuse et s'apparentera plus à une foire où l'on trouvera diverses exhibitions. A l'époque, il faut savoir que certaines de ces manifestations tournaient au fiasco en n'étant pas à la hauteur des annonces de l'organisateur.
En 5 mois, divers bâtiments sont construits comme un palais des Beaux-Arts, un palais de l’alimentation et de l’hygiène, un palais des arts libéraux ou encore différents kiosques pour les exposants et visiteurs.
L'exposition d'Orléans, comme d'autres avant et après elle, comprendra, en son coeur, une "attraction" toute particulière : un "village noir".
Le "Village Noir"
Entre 1870 et 1930, plusieurs "villages noirs" sont présentés en France et en Europe. Ils sont présentés comme des exhibitions ethnographiques plus ou moins commercialisées ayant pour objectif de faire découvrir l'exotisme aux métropolitains. En 1905, par exemple, ce type de village sera implanté à Cherbourg, Lisieux, Reims, Leipzig, Fribourg ou encore Lausanne et Genève. Albert Vigé, qui organise des expositions en France depuis 1899, a commencé à proposer des "Villages noirs" dès 1902. La convention passée avec la Ville d'Orléans ne fait pas mention de cette attraction. Et malheureusement, aucune des archives du fonds municipal ne permet d'en savoir plus sur le déroulement de l'exposition.
D'après les études historiques, des Africains, venant de différents pays et notamment, le Sénégal ou le Soudan, sont recrutés sur place et conduit en Europe par bateaux pour un séjour plus ou moins long. Contre une somme d'argent, ils sont chargés d'exercer leurs métiers au sein du village reconstitué lors des expositions. Les femmes sont recrutées aussi pour montrer leurs gestes de la vie courante, notamment la cuisine. Des fêtes traditionnelles ont lieu sous l'oeil des visiteurs. Les populations recrutées comprennent des personnalités locales. Ainsi à Orléans, le chef du village est Jean Thiam. Il est conseiller municipal de Gorée (Sénégal), décoré de l'Ordre du Bénin et maître-bijoutier. A ce titre, il fabrique des bijoux dans le village qu'il vend aux visiteurs. Ces créations seront d'ailleurs récompensées au même titre que d'autres créations artisanales de l'exposition. Le Village d'Orléans reçoit aussi le dessinateur Momar Ndiaye, originaire également du Sénégal.
L'expression "Village noir" est celle utilisée à l'époque comme on le remarque sur les cartes postales éditées pour l'occasion. En général, les villages étaient clos et l'entrée était soumise à une tarification distincte de celle de l'exposition.
La presse locale se fait écho de la vie et de l'organisation du village. Ainsi, Le Républicain orléanais des 25 et 27 juin, des 12 et 24 juillet 1905 donnent un descriptif précis qui complète la série de cartes postales éditées pour l'occasion. On trouve des enclos pour des moutons, des chèvres, des porcs et mêmes quelques singes, serpents et une tortue. Un magasin, une infirmerie, la maison du chef, l'atelier des bijoutiers, un dortoir pour garçons, un bassin aux ablutions et un hangar pour les cuisines, un lavoir, un atelier de tisserands, une école coranique, une mosquée, des appentis, des cases et des ateliers de menuisiers ou autres artisans constituent les principaux bâtiments.
La presse locale se fera également l'écho des différentes manifestations, sorties et rencontres entre les personnalités du village et les édiles orléanaises. Le 3 juin 1905, la naissance de Mame Anna N'Diaye sera traitée comme un évènement particulier, là encore, relayé dans la presse, notamment par l'intermédiaire du Journal du Loiret et immortalisé sous l'oeil du photographe orléanais Marcel Marron. Dans les années 2000, l'un des descendants de Mame Anna contactera d'ailleurs les Archives muncipales d'Orléans dans le cadre de recherches sur son ancêtre.
De nos jours, ce phénomène d'exhibitions ethnographiques est étudié par les historiens. Certains ont qualifié ces expositions de "zoos humains", terme forgé à partir du début des années 2000. Pour d'autres, ces exhibitions doivent être analysées plus finement et nuancées au cas par cas. Dans tous les cas, ces études doivent se faire au regard des archives, quant elles existent, des articles de presse et des photographies et en replaçant cette histoire dans le contexte d'une époque très paternaliste et coloniale.
Pour en savoir plus sur le "Village noir" d'Orléans et ses participants
Bergougniou (Jean-Michel) ; Clignet (Rémi) ; David (Philippe), "Villages Noirs" et visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870- 1940), Images et Mémoires, Karthala, Paris, 2001; 303 p. (AMO, C4603)
David (Philippe), "Le "Villages Noirs" à l'exposition d'Orléans de 1905", in Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, juin 1998, n°119, pp. 25-50 (AMO, PER023)
Nous signaler d'autres études sur le sujet
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Date de modification : 27 janvier 2018