Une école académique
1785 : Une école gratuite de dessin en projet
Le mardi 15 novembre 1785, le conseil municipal, les échevins et les autres officiers du corps de Ville sont réunis sous la présidence d'Augustin Clément Massuau de la Borde, maire d’Orléans, afin de délibérer sur la création d’une école gratuite de dessin :
Nous avons ensuite exposé à l’assemblée le désir qu’auraient quelques citoyens distingués de cette ville d’y voir établir à l’exemple de plusieurs autres villes du Royaume une école gratuite de dessin, que leur zèle pour ces établissements également utiles aux artistes à qui la connaissance du dessin est nécessaire et à la jeunesse qu’une occupation de ce genre pourrait tirer d’une oisiveté souvent dangereuse.
Le projet dénote de la volonté de favoriser l’enseignement artistique, tout comme d’encadrer et d’occuper les jeunes qui, au sortir de la petite école vers l’âge de 10 ans, sont pour la majeure partie d’entre eux en attente d’apprentissage. En effet, l’organisation de l’école sous l’Ancien Régime ne prévoit pas d’enseignement secondaire pour lequel il faut attendre la création des écoles centrales à la fin du 18e siècle.
Le projet présenté reçoit l’adhésion de l’assemblée municipale. La réussite de l’entreprise repose sur l'appui et le soutien moral et financier de la Ville, mais aussi sur l’obtention de la protection et des secours de sa majesté et de son altesse sérénissime, Louis Philippe, Duc d’Orléans.
1786 : "L’École académique de peinture, sculpture, architecture, et autres arts dépendans du dessin"
On peut suivre les étapes de la création du nouvel établissement public dans les registres des délibérations de la Ville. Avec le soutien des différentes autorités, le projet parvient à prendre forme au cours de l’année 1786. L’Ecole de dessin est refondée en Académie, car sa légitimité s’appuie sur sa reconnaissance par l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris.
Le 27 janvier, le chancelier du Duc d’Orléans informe l’assemblée municipale que « le prince » consent à accorder 500 livres de gratification annuelle pour l’établissement d’une école gratuite de dessin à Orléans. Cette somme s’ajoute aux 500 livres de subvention annuelle votée par la Ville. Le 11 avril, le gouvernement informe à son tour la municipalité qu’il alloue une somme annuelle de 600 livres pour les frais de fonctionnement de l’école.
Le 28 janvier, Jean Bardin, membre de l’Académie royale de peinture et sculpture, est présenté à l’assemblée municipale. Nommé directeur-professeur par les directeurs et administrateurs de l’école d’Orléans, les cours du peintre académicien doivent commencer le premier avril suivant. On apprend que la salle destinée à l’enseignement a une capacité d’accueil maximum de 56 élèves, mais aucune indication n’est donnée sur la localisation de l’établissement à ses débuts.
Dès le mois de février, l’assemblée sollicite la protection du comte d’Angivillier, directeur général des bâtiments du Roy et inspecteur des académies et manufactures, afin que l’école prenne une forme officielle et légale. Le 11 mars suivant, dans une lettre à l’Administration, le comte d’Angivillier chargé de l’inspection des académies qui se forment dans le royaume, marque sa satisfaction de voir la création d’une école de dessin à Orléans. Avant de donner son approbation, il réclame un projet de règlement. Rédigé sur le modèle de l’Académie royale, le projet lui est remis le 22 avril suivant, l’Ecole de dessin prenant ainsi le nom officiel d’École académique de peinture, sculpture, architecture, et autres arts dépendans du dessin.
En novembre, messieurs Henry, Desfriches, de Bizemont et Bardin, membres du comité de l’école, sollicitent le prêt de la grande salle de l’Hôtel de Ville, situé alors dans l’Hôtel des Créneaux, pour que s’y déroule la première assemblée générale qui officialise l’ouverture de l’école.
Le premier règlement
Le règlement établi en 1786 fournit de précieuses informations sur l’organisation et le fonctionnement de l’établissement à ses débuts. Il est publié en 1787 par l’imprimeur orléanais, Louis-Pierre Couret de Villeneuve.
L’origine et la mission de l’école sont rappelées en préambule : divers citoyens de la ville d’Orléans, animés par le goût des Beaux-Arts, y ont formés un établissement dont l’objet est de les cultiver et enseigner gratuitement ; qu’à cet effet ils ont engagés un membre de l’Académie royale de peinture et sculpture de Paris, à se transporter à Orléans, pour le diriger en ce qui concerne la partie de l’Art.
L’école constituée en Société est administrée selon une hiérarchie de membres répartis en 4 classes :
- 12 membres honoraires parmi lesquels le maire en exercice, ainsi que des personnalités orléanaises et artistes de talent ;
- 50 associés titulaires, citoyens de la ville payant un droit d’entrée et s’engageant à contribuer aux dépenses de l’école. Ils possèdent le privilège de pouvoir nommer chacun un élève. Le comité directeur se compose d’Aignan-Thomas Desfriches, directeur perpétuel, de Henry de Longuève, secrétaire perpétuel et de Gaspart de Bizemont-Prunelé, trésorier perpétuel ;
- 4 professeurs en exercice : le poste de directeur-professeur pourvu par Jean Bardin, peintre du roi, le poste d’adjoint et professeur de sculpture et ornement à pourvoir, le poste de professeur d’architecture et géométrie à pourvoir et le poste de professeur d’anatomie ;
- 20 membres associés, artistes et amateurs étrangers.
L’école est ouverte toute l’année, les horaires sont adaptés en fonction des saisons et de la variation de la luminosité dans les salles de cours, car la lumière est indispensable à l’exécution des travaux de dessin.
Le cycle d’étude se compose de 4 trimestres à la fin desquels les travaux des élèves sont soumis à une évaluation. L’enseignement est basé sur l’apprentissage du dessin et oblige les élèves à l’étude de la figure durant la première année, c’est-à-dire la représentation de la figure humaine et l’étude des proportions du corps humain.
Le règlement fixe également les modalités d’ouverture d’un concours et la remise d’un ou plusieurs prix annuels. Une distribution publique de récompenses est fixée après la quinzaine de Pâques, lors de l’assemblée générale de l’école. Les dessins jugés dignes d’un prix sont exposés au public jusqu’aux vacances suivantes.
La discipline au sein de l’établissement est stricte, comme le mentionne le second règlement pour la police intérieure des salles de l’école académique auquel les élèves doivent se conformer : présentation et comportement décents, conformes aux bonnes mœurs, à la religion et à la probité.
Jeudi 23 novembre 1786 : ouverture publique de l’établissement
Affiliée à l’Académie royale, l’école ouvre officiellement ses portes le jeudi 23 novembre 1786, date de la première assemblée générale. L’inauguration a lieu dans la grande salle de l’Hôtel de ville, en présence des représentants de son Altesse sérénissime et de Monseigneur le Duc d’Orléans, des autorités locales et d’une foule considérable de personnes de l’un et l’autre sexe (…). Les élèves avaient été placés sur des bancs qui avaient été mis le long de la croisée de la grande salle.
Le discours d’inauguration est prononcé par Henry de Longuève, secrétaire perpétuel de l’école et avocat du roi. Il y rappelle les visées de l’établissement : celle d’ouvrir de nouvelles carrières aux talents et celle d’offrir un nouveau champ à la bienfaisance. Suit une longue apologie du dessin dans l’histoire de l’humanité :
Le dessin, ce premier langage du monde dans son enfance, ce premier moyen de communication entre les hommes, et encore aujourd’hui, le premier des Arts, celui dont l’usage et l’application sont les plus étendus et pour ainsi dire universels. Né en quelque sorte avec l’homme, il sut dans tous les temps l’éclairer ou lui plaire.
Si Henry de Longuève vante largement les mérites de l’enseignement du dessin, tout comme des institutions qui s’y rattachent, son discours est une forme d’avertissement : mais le dessin sert, dans son étendu, non seulement tous les arts agréables, non seulement toutes les sciences précieuses, mais encore toutes les professions utiles.
L’école entend bien contribuer à soutenir l’économie du pays et à former ses futurs ouvriers ou artisans de l’art et de l’industrie dont les métiers nécessitent une bonne maîtrise du dessin. L’autorité municipale souhaite ainsi favoriser leur éducation et contribuer à leur formation professionnelle. Les manufactures sont nombreuses à Orléans : faïences, indiennes, papier peint, meubles d’art.
Mais quel est le risque à trop éveiller la connaissance de ces artisans ? Dans sa conclusion, Henry de Longuève rappelle les élèves à leur devoir : qu’ils évitent de se livrer à des idées chimériques sur le but de leur étude et de leurs travaux et de perdre dans la culture du dessin le goût des différentes professions auxquelles ils sont destinés (…). Il faudra réprimer par de sages avis la fougue impétueuse d’une imagination bouillante, qu’une ardeur éphémère entrainerait vers un Art dans lequel on parvient si difficilement à la perfection.
A la croisée de l’enseignement artistique et de la formation technique, les écoles de dessin se situent sur cette ligne de partage et des questions de la formation et du devenir de l’artiste ou l’artisan.