Une cité de relogement d'urgence pour les "sinistrés de 1940"

La construction de la Cité des Groues

A la suite des destructions d’immeubles causées par les bombardements du centre-ville d’Orléans en juin 1940, puis en mai et juin 1944, les dommages matériels sont considérables et la pénurie de logement est criante. Ce sont près de 18 000 personnes qui se retrouvent sans abris au lendemain de la Libération. A partir de 1944, plusieurs cités de relogement d’urgence sont construites au frais du commissariat à la Reconstruction.

Aux Groues, c’est une centaine de baraquements provisoires que la municipalité d’Orléans envisage d’établir afin d’y reloger environ 1 200 sinistrés. Elle prévoit d’utiliser une parcelle de 10 hectares de la partie nord du terrain militaire, le long de la rue de la Croix-Baudu et de la rue des Murlins, à Orléans et Saint-Jean-de-la-Ruelle. L’emplacement réuni les conditions nécessaires, tant du point de vue de sa surface, que de sa situation pour l’établissement des réseaux de distribution d’eau, de gaz et d’électricité. Le 15 mai 1945, une convention d’occupation est signée pour 5 ans entre le ministère de la Guerre et le ministère de l’Intérieur. A partir de 1953, cette concession temporaire est reconduite d’année en année.

La construction d’une telle cité, devant accueillir environ 300 ménages, nécessite la mise en place d’importantes infrastructures. Dès 1944, les services de la voirie de la Ville d’Orléans établissent un projet de viabilité comprenant un plan d’implantation des rues et d’installation des branchements d’égouts. Une étude est lancée pour la mise en place des réseaux d’alimentation en eau et en électricité sur l’ensemble de la cité, ainsi que des branchements de chaque baraquement. Le chantier d’électrification est confié à la société Lyonnaise des eaux et de l’éclairage qui est alors la société concessionnaire de la Ville d’Orléans. Une ligne de distribution d’électricité publique est construite, ainsi qu’une installation hydraulique. Puis, en mars 1945, la société des Entreprises réunies du Loiret et l’entreprise Léger, établissent des chaussées empierrées rue Croix-Baudu et des canalisations d’égout pour desservir chaque baraquement. Le lit du ruisseau de la Chilesse est utilisé pour le déversement des eaux résiduelles en attendant l’installation d’un égout en béton.

La construction se poursuit au cours de l’année 1945, l’entreprise Braconnier remporte les marchés de peinture et de vitrerie, puis la société Huguet père et fils le marché d’électrification des baraquements. D’après les plans de l’architecte Baudin, l’entreprise Pagot, obtient le marché de terrassement et de maçonnerie pour un montant initial de 4 168 000 francs, réglé 6 227 000 francs. A la fin de l’année 1945, la construction des baraquements est achevée. Le procès-verbal de réception définitive de l’ensemble des travaux de viabilité est signé par le Préfet du Loiret le 18 février 1947. 190 constructions de différents types sont livrées, réparties entre habitations, dépendances et groupe scolaire. Les baraquements sont divisés en plusieurs logements de 2 à 5 pièces, tous sont équipés de l’eau et de l’électricité. La nouvelle Cité des Groues dispose alors de 282 logements permettant d’accueillir jusqu’à 1 200 habitants. L’ensemble des travaux de viabilité s’élève à un montant global de 83 000 000 francs.

 

L'installation des familles

Les constructions édifiées par le M.R.U. (ministère de la Reconstruction urbaine) sont exclusivement attribuées aux familles de sinistrés. Elles demeurent la propriété de l’État qui en assure l’entretien et fixe les loyers. La Ville d’Orléans est toutefois fortement impliquée, tant sur le plan financier que sur le plan social, dans la gestion du lieu. Elle participe à son entretien, à son fonctionnement et à celui des équipements collectifs : centre social, groupe scolaire, crèche, dispensaire, buanderie et sanitaires collectifs.

Comme le montrent les documents d’archives, la précarité affecte progressivement la vie quotidienne des habitants et s’installe dans cette cité provisoire restée en fonctionnement pendant près de 30 ans. Les baraquements en bois vont faire office de relogement d’urgence de 1945 jusqu’à construction des premières cités H.L.M. à la fin des années 1960. Les derniers habitants quittent les baraquements pour la Cité Bénoni-Gauthier en 1975.

Lors de l’installation des premières familles, aucun organisme officiel n’est désigné sur place pour la gestion des abris. Dès le mois de septembre 1945, l’Administration municipale nomme le premier surveillant de la cité, Camille Piot. Logé sur place, celui-ci invoque très vite dans sa correspondance avec la Ville qui l’emploie, les nombreuses tâches qui lui incombent et qui dérivent vers des fonctions de concierge. Il doit assurer l’ordre, le calme et la propreté des lieux, ce qui, selon lui, n’est déjà pas une chose aisée. Il est sollicité en toute circonstance pour assister les habitants dans leur quotidien : renseignements divers, recensement du matériel, distribution de bons de combustible, recouvrement des redevances de consommation d’eau, etc. Un appareil téléphonique est installé à son domicile, ce qui l’oblige à des astreintes permanentes, notamment la nuit pour les appels urgents (médecin, sage-femme, etc.). C’est à plusieurs reprises qu’il sollicite des revalorisations de salaire, tout comme le feront ses successeurs.

 

Les conditions de vie

Dès les débuts de l’occupation de la Cité, il s’avère indispensable d’améliorer les conditions d’habitat des abris, tout comme l’hygiène et l’entretien du site. Plusieurs collectifs voient le jour pour représenter et défendre les intérêts des habitants, à commencer par le « Groupement orléanais des sinistrés de guerre » créé en 1940. Le « Comité de l’Association des familles Ouvrières de la section des Groues » est créé en octobre 1945. Durant toute la période d’occupation des lieux, de nombreuses doléances des habitants et des associations sont adressées à la municipalité pour l’amélioration des conditions de vie.

Dès l’hiver 1945, les habitants se plaignent de la mauvaise isolation des baraquements et de la pénétration du vent à l’intérieur des logements. En septembre 1946, une habitante demande le calfeutrage de 2 pièces en raison de la santé précaire de ses enfants. A cause des difficultés d’approvisionnement en isorel, le ministère de la Reconstruction assure que l’ensemble des travaux de calfeutrement sera terminé pour l’hiver 1947. De même, les toitures des abris en carton bitumé manquent d’étanchéité.

A partir de 1946, l’association familiale ouvrière du quartier des Groues demande que les rues puissent disposer de l’éclairage public, mais le ministère de l’Equipement invoque des insuffisances de budget. En avril, l’association adresse une pétition au Maire pour alerter sur de nombreux problèmes : l’invasion de punaises, les accidents dus au manque d’éclairage de la cité, le gel des tuyaux dans les buanderies, les poteaux à linge manquants. On demande la construction de caves pour la conservation des aliments, le calfeutrage des logements avec de l’isorel, l’aménagement de foyers pour l’utilisation de lessiveuses dans les buanderies au lieu des logements.

En 1947, on évoque le danger qu’encourent les enfants à jouer sur le terrain militaire réservé aux évolutions de chars. En 1948, une clôture est posée en bordure de la rue Croix-Baudu pour assurer leur sécurité.

La question de la propreté reste cruciale et malgré l’organisation du ramassage des ordures ménagères, c’est en septembre 1947 que le gardien signale une deuxième infestation de rats. La municipalité fait alors procéder à la dératisation d’une cinquantaine de logements.

En juillet 1949, on constate des primo-infections tuberculeuses chez certains enfants.

 

La construction d’un groupe scolaire

Avec ses futurs 1 200 habitants, la municipalité considère que la Cité des Groues constitue un véritable village destiné à durer quelques années. En août 1945, elle demande au service de la Reconstruction de prévoir un groupe scolaire et une pouponnière pour les plus petits. L’Inspection académique associée à cette demande définit le programme à réaliser : une école maternelle de 2 classes de 50 élèves ; une école de garçons et une école de filles pour les enfants de moins de 8 ans, chacune comportant une classe de 50 élèves ; une cantine scolaire pour les enfants du voisinage.

L’école et la pouponnière sont construites à l’angle sud-est de la cité. Le projet de constructions en bois, dont les plans sont dessinés par l’architecte Marc Bonté, est approuvé le 4 juillet 1945. Les baraquements sont pris en charge par le service de la Reconstruction. Les travaux de terrassement et de maçonnerie sont confiés à l’entreprise Georges Léger, la plomberie à la société Siriex et fils. La Ville d’Orléans supporte les aménagements intérieurs et l’achat de matériel pour un montant total de 1 107 000 francs. Le chantier est achevé en septembre et décembre 1946, alors que l’école maternelle déjà ouverte compte 102 élèves au printemps 1946. En 1955, 113 élèves fréquentent l’école élémentaire.

 

Le risque incendie

Dès 1945, des précautions sont prises pour prévenir tout risque d’incendie dans la Cité construite essentiellement en bois. Des extincteurs prélevés sur les stocks de la défense passive sont placés dans chacun des baraquements. 4 bouches d’incendie sont reparties dans la cité, une pompe à bras et du matériel sont mis à disposition du gardien en vue de l’attente des pompiers, une équipe de premiers secours est constituée de 10 habitants volontaires. 2 commerçants du quartier autorisent l’utilisation de leurs lignes téléphoniques privées, le téléphone est installé chez le gardien en avril 1945.

Toutefois, un incendie se déclare à l’école des Groues en mars 1959 qui détruit l’école maternelle, le logement du gardien et 4 des 6 classes de l’école primaire. La Ville d’Orléans envisage alors de faire construire une réserve d’eau pour constituer un complément des moyens de défense de la Cité. Un marché avec la Société Salviam est approuvé le 28 janvier 1960, pour la construction en béton armé d’une citerne enterrée de 120m3 en bordure de la rue Croix-Baudu.

La reconstruction de l’école fait l’objet d’un marché avec la société Sofaco approuvé le 1er juillet 1959. L’activité de l’école perdure jusqu’au début des années 1970. Le 2 juillet 1972, le conseil municipal d’Orléans décide du transfert des 4 classes provisoires de la Cité des Groues au C.E.S. de la Cité Saint-Marc.

 

Le centre social des Groues et des Murlins

En juillet 1946, l’organisme de solidarité « l’Entraide française », délégation du Loiret,  sollicite la Ville d’Orléans pour la création d’un centre social dans la Cité des Groues. Il s’agit de transférer les activités du centre social sinistré des Aydes dans un centre neuf et de répondre aux besoins des familles qui représentent une population ouvrière de sans-logis. Le projet social comprend plusieurs volets : la consultation des nourrissons, le goûter des mères, le goûter suisse de suralimentation pour enfants déficients, le parrainage des vieillards, une permanence d’auxiliaires familiales d’aide aux mères, un jardin ou garderie d’enfants en complément d’activité de la classe maternelle de la Cité des Groues, des cours de formation et consultation ménagères, des cours de bricolage, un chauffoir pour les vieillards en hiver, des cercles d’éducation populaire, etc.

Le 15 octobre 1946, la municipalité d’Orléans émet un vote favorable à ce projet pour lequel l’Entraide française s’engage à fournir un baraquement, du mobilier et du matériel, ainsi qu’une subvention de démarrage de 100 000 francs. Le service de la Reconstruction prend en charge la préparation du terrain et le montage du baraquement, la Ville le raccordement du bâtiment aux divers réseaux. Le financement des opérations est également assuré par le « Comité d’aide aux sinistrés orléanais et du Loiret » et la Ville d’Orléans, à hauteur de 100 000 francs chacun.

En novembre 1946, le ministère des Armées donne son accord pour la location d’une parcelle de terrain au profit de l’Entraide française, le bail de location sera reconduit jusqu’à la fin des années 60. Le baraquement est fourni par le « Comité suédois d’aide à la France ». Livré avec plus d’un an de retard, le bâtiment que l’on nomme plus tard « la maison suédoise », est installé au cours de l’année 1948.

L’association de bienfaisance du « Centre social des Groues et des Murlins » est constituée lors de l’assemblée générale du 25 janvier 1948. Déclarée en Préfecture le 8 avril 1948, c’est le Docteur Victor Le Page qui en assure la présidence.

En 1950, les activités du Centre social des Groues et des Murlins intéressent environ 3 000 personnes pour la consultation des nourrissons, les cours d’enseignement ménager, les repas et goûters aux travailleurs nécessiteux, les aides aux mères de famille. Par ailleurs, le Centre assure le service social des deux cités, en liaison avec les assistantes sociales. En 1952, c’est pour poursuivre cet effort que la municipalité appuie, en vain, une demande de subvention auprès du ministère de la Santé publique et de la population. En 1953, les difficultés financières conduisent la Ville à voter une avance de 200 000 francs, d’autres aides sont reconduites par la suite.

Après quelques années de fonctionnement, le Centre semble avoir des difficultés à maintenir sa vocation sociale, dans une cité qui se vide progressivement de ses habitants au profit des nouvelles constructions H.L.M. En 1961, la directrice du Centre, Madame Besson, déplore que les conditions de vie dégradées de la cité ne permettent plus de mener à bien des activités éducatives, d’information ou de loisirs. En 1972, le Centre social des Groues dispose encore d’un foyer qui accueille des vieillards, les autres activités sociales ayant été déplacées aux Blossières. En 1973, les locaux vétustes du Centre social sont démolis.

 

 

De la Cité des Groues à la Cité Benoni-Gauthier

En 1967, une partie de la population est transférée vers les 364 logements sociaux nouvellement construits au lieu-dit « Les Salmoneries » à Saint-Jean-de-la-Ruelle. Les familles ne pouvant pas supporter un loyer H.L.M. restent sur place aux Groues où 140 logements restent encore occupés. 

En 1969, les 2 tiers des logements de la zone ouest sont démolis. Dans la partie nord-est, 118 logements restant sont radiés des biens de l’État, ils sont cédés gratuitement à la Ville qui procède à leur remise en état. A cette période, la situation devient critique, les baraquements abandonnés sont occupés illégalement, les rats prolifèrent, on note la présence de rodeurs, etc.

A partir de 1972, la Municipalité engage un « programme de résorption de l’habitat insalubre » (P.R.I.). L’opération engagée avec l’Office municipal public d’H.L.M., prévoit la construction sur place de 100 logements destinés aux 100 familles qui occupent encore les baraquements en bois. La Ville participe à ce projet baptisé « Bénoni Gaultier » : cession gratuite du terrain à l’Office d’H.L.M. ; remboursement des frais de démolition des baraquements ; réalisation d’une partie des travaux de voirie, réseaux et aménagement d’espaces verts par les services techniques municipaux ; prise en charge des frais de déménagement des occupants.

Le programme à loyer réduit (P.L.R.) comprend 5 immeubles de 4 étages dont l’implantation est prévue au nord de la rue Croix-Baudu. Les constructions, dont les plans sont dessinés par les architectes Pierre Bourgoin (Boulogne) et Pierre Blareau (Orléans), sont achevées en 1975. 2 nouvelles rues sont créées pour desservir la Cité : la rue Bénoni-Gauthier et la rue Louis-Boussenard.

A son tour, cette cité doit être une cité de transit, dans l’attente de la construction de logements pourvus d’un meilleur confort. Au fil des années, la Cité Bénoni-Gaultier se dégrade, tant sur le plan matériel, que sur le plan social. Elle connaît plusieurs opérations de réhabilitation, notamment en 1993-1994 en concertation avec les locataires, ainsi que plusieurs projets d’accompagnement social. Les efforts en matière de réhabilitation de cette cité donnent des résultats décevants.

En 2002, dans le cadre de la politique de la ville, c’est finalement une opération de renouvellement urbain qui est à l’étude avec un programme de démolition des 5 bâtiments. Le permis de démolir délivré en 2004 marque la fin définitive des programmes de relogement d'urgence aux Groues. Le dernier immeuble H.L.M. est détruit le 15 février 2011.

 

 

Consulter le fonds photographique du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Photothèque Terra

 

 

Date de modification : 2 février 2021

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