Les revues de chansons de la Société littéraire et sportive Saint-Joseph (1911-1946)

Les Orléanais sont surnommés de longue date « guêpins » en raison de leur esprit qualifié de railleur et piquant, de vif avec un sens de l’à-propos allié à un tempérament malicieux. Ce mordant si caractéristique se retrouve dans les revues de chansons humoristiques proposées par les Anciens de la Société littéraire et sportive Saint-Joseph des années 1910 jusqu’à l’immédiate après-guerre. Il est défini dans la chanson finale de la revue de 1927 : 

Et l’esprit guêpin,
Par ses traits piquants et fins
Est plein d’entrain.

Les revues de Saint-Joseph des années 1911, 1913, 1925 et 1927
Les revues de Saint-Joseph des années 1911, 1913, 1925 et 1927

La Société littéraire et sportive Saint-Joseph

La vénérable Société littéraire et sportive Saint-Joseph, fondée en 1841 par Ludovic Colas des Francs (1815-1895), descendant d’une vieille famille orléanaise, et sous l’égide de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul offre à ses sociétaires, annuellement, une revue chantée, accompagnée par un orchestre.

Selon l’Annuaire du département du Loiret de 1913, cette association a pour but « d’offrir aux jeunes gens, employés dans les bureaux et les magasins, une direction religieuse et morale en rapport avec leur situation, en même temps que des distractions honnêtes. » Cette définition est modifiée après la Grande Guerre puisque l’Annuaire général d’Orléans et des communes du Loiret de 1934 précise qu’elle offre «aux jeunes gens de quelque situation qu’ils soient, une direction religieuse et morale, en même temps qu’une formation professionnelle et militaire, sans parler de plusieurs salles de jeu, d’une campagne et même d’une maison de famille avec restaurant.»

Un ensemble de quinze cartes postales, visibles sur le site des Archives d’Orléans, permet d’imaginer les activités et les bâtiments de la Société Saint-Joseph, installée derrière le chevet de la cathédrale Sainte-Croix.

Les grandes revues locales

La Bibliothèque des Archives d’Orléans conserve neuf brochures de ces grandes revues locales présentées entre 1911 et 1946. Chaque revue d’une trentaine de pages a son propre titre révélant déjà l’esprit guêpin, où l’humour le dispute au calembour :

  • Orléans à vol plané (1911)
  • Orléans ! Tout le monde décent… ! (1913)
  • Depuis là… jusqu’aux Aydes (1925)
  • Vers mon Martroi ! (1927)
  • A travers les Mails (1929)
  • Orléans tout en roses ! (1931)
  • A la saison des crises (1933)
  • Au temps des… poires (1938)
  • Ah ! La drôle d’époque (1946)

La couverture est illustrée par un dessin humoristique pour les revues de 1913, 1933 et 1946. Celles de 1925, 1927, 1929 sont de facture plus classique en présentant des monuments et édifices emblématiques de la ville : les statues de Jeanne d’Arc de Foyatier et de Gois, le beffroi, le Campo Santo, l’hôtel Cabu, la cathédrale Sainte-Croix, le monument de la Victoire, le kiosque à musique. En 1931, l’illustration ornant Orléans tout en roses est une vue générale de la ville prise depuis la rive gauche, entourée de roses au style Art déco.

On peut supposer que les illustrateurs sont des Anciens de Saint-Joseph. Si la couverture attire l’œil, aucune illustration ne ponctue les chansons. Chaque programme contient les publicités des entreprises et commerces orléanais, soutenant la Société Saint-Joseph.

Un bien mystérieux auteur

Ces revues sont signées par Paul d’Orléans. Or aucune information n’a été trouvée sur ce mystérieux auteur qualifié de « poète-chansonnier » par le Journal du Loiret dans son édition du 11 novembre 1912. Pourtant, un article de ce quotidien du 30 novembre 1911 relatant le 70e anniversaire de la fondation de la Société littéraire et sportive de Saint-Joseph précise que la revue Orléans à vol plané est l’œuvre de Paul Grangé, un ancien sociétaire.

Dix ans après, le numéro spécial du Bulletin de la Société littéraire et sportive de saint-Joseph d’Orléans (n° 3-4 de mars-avril 1921) est consacré à la fois aux commémorations du 80e anniversaire de la fondation de la société, du centenaire de la naissance du comte Ludovic des Francs et du 30e anniversaire de la fondation définitive du Groupe des Anciens. Il y est fait l’éloge de « ces inoubliables Revues interprétées dans la salle de l’Institut où notre excellent camarade Paul Grangé, (…), avec le concours d’Anciens, de sociétaires et d’amis de la Société, sut faire applaudir son talent si original et si guêpin. »

Ainsi est corroborée l’hypothèse suivante : sous ce pseudonyme de Paul d’Orléans, outre Paul Grangé, se cachent aussi des membres et anciens pensionnaires de la Société Saint-Joseph, qui participent à la création de ces revues.

Sur des airs de chansons alors en vogue ou célèbres (Le temps des cerises ; Plaisir d’amour ; Je chante de Charles Trénet ; Ca fait d’excellents Français de Maurice Chevalier) ou d’opérettes (La fille de Madame Angot ; La Veuve Joyeuse ; L’Auberge du Cheval-Blanc), sont adaptées de nouvelles paroles, relatant l’actualité nationale et locale.

De l’actualité nationale…

Le vol de la Joconde au Louvre en août 1911 est évoqué dans la chanson « Le Pipette du Musée » dans la revue Orléans à vol plané en novembre de la même année. Ou bien ce sont les deux scandales financiers avec le banquier Albert Oustric et Marthe Hanau, la banquière des Années folles, qui sont cités dans la « Chanson de M. Pané » dans Orléans tout en roses ! en 1931 :

Il faut si peu de choses pour voir son fric
S’engloutir dans la banque Oustric
Madame Hanau qui s’y connaît
Prédisait
Qu’un jour un ministre paierait
Oui, paierait.

Nos Guêpins aiment aussi brocarder et railler la classe politique française, particulièrement les visites ministérielles et leurs beaux discours.

La vie chère, les impôts et les économies demandées aux Français sont croqués avec humour et lucidité, particulièrement dans Vers mon Martroi (1927), A la saison des crises (1933), Au temps des… poires (1938), Ah ! La drôle d’époque (1946), les trois dernières ayant des titres évocateurs de la situation économique du moment.

En 1938, Au temps des ... poires fait allusion aux tensions internationales et périls fascistes dans « Toujours la même chanson » :

On nous parle de Paix et d’Union
C’est toujours la même chanson
L’Espagn’ s’en moqu’ et mêm’ le Japon,
Enfin tous les pays resteront unis
C’est le vœu d’Hitler et de Mussolini.

Le Jardin Pasteur dans la revue "A la saison des crises" en 1933
Le Jardin Pasteur dans la revue "A la saison des crises" en 1933

… à l’actualité orléanaise

Mais c’est l’actualité orléanaise qui est au cœur de ces chansons écrites spécialement pour chaque spectacle. Avec un esprit guêpin, il va de soi, que tout l’auditoire comprend !

Les revues des Anciens de Saint-Joseph éclairent autrement les dossiers administratifs conservés aux Archives d’Orléans sur des sujets polémiques ou non. Elles apportent l’opinion des Orléanais.

Elles aiment célébrer Orléans et proposent toujours une visite touristique, mettant à l’honneur ses monuments et édifices emblématiques. On peut mieux les imaginer grâce aux cartes postales, aux dossiers de la série M consacrée aux édifices communaux, monuments et établissement publics.

Dans Orléans ! Tout le monde décent, les couplets intitulés Les Tourelles évoquent le projet critiqué de reconstitution du Fort des Tourelles. Ils peuvent être mis en regard de la carte postale éditée vers 1912 (cote 2Fi254), du dossier (cote 8M2) et des débats qui agitent les conseils municipaux de 1912 et 1913. Ou bien ceux de La Tour de Saint-Paterne concernant la démolition de la tour de l’église éponyme peuvent appuyer le dossier coté 9M31, les nombreuses cartes postales et les débats municipaux d’avant 1914.

Autre sujet de raillerie : la gare d’Orléans. Etant en cul-de-sac, c’est à celle des Aubrais que le voyageur dispose de correspondances et de navettes. Elles sont un sujet de prédilection pour nos malicieux Guêpins qui s’en amusent en 1911, 1931 et 1946. Cependant le projet de gare unique ne verra jamais le jour comme le confirme le dossier coté 2O13.

Des sujets plus légers sont aussi évoqués. Paul d’Orléans s’amuse à mettre en scène, toujours avec piquant, la vie quotidienne et les petits travers des métiers d’une ville « si paisible et si tranquille » entre les deux guerres comme le facteur, la laitière, le wattman du tramway, le policier, les pompiers, les domestiques, le chauffeur d’autocar, le gardien de musée, la concierge. Ainsi le parc Louis-Pasteur, créé en 1929 sur l’ancien cimetière Saint-Vincent, est joliment mis en chanson quatre ans plus tard :

Des beaux jardins fertiles
Fleurissant Orléans
Le plus grand de la ville,
Le plus jeune pourtant,
Celui dont les parterres
Ont un charme enchanteur,
Celui qu’on préfère
Est le jardin Pasteur.

Acquisition par les Archives d’Orléans

Ces neuf revues de spectacles orléanais proviennent soit d’un achat auprès d’un libraire de Blois en 2002, soit de don de particuliers. Leur collection est malheureusement lacunaire. Une étude approfondie de ces textes mériterait d’être menée en s’appuyant sur les archives. Les Archives d’Orléans possèdent également d’autres revues de chansons présentées entre 1948 et 1960 sur la scène du Théâtre municipal. Elles sont toujours écrites dans ce même esprit guêpin qui a fait le succès de celles de la Société Saint-Joseph.

Et comme tout se termine par des chansons :

Si nous avons raillé par des traits satiriques
Nos ennuis quotidiens
Si nous avons blagué ce que chacun critique,
Mais bien moins qu’il convient
C’est que nous sommes des Guêpins, de vrais Guêpins.


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