1918 : création du service municipal
1918 : création du service municipal
Le temps de l'adjudication
Les premiers temps
Les lois des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire confient tout ce qui concerne « la commodité de passage » sur la voie publique aux corps municipaux. Cela comprend notamment, « le nettoiement (…), l’enlèvement des encombrements (…) et celle de rien jeter qui puisse blesser ou endommager les passants, ou causer des exhalaisons nuisibles » (titre XI, art. 3).
Dans un premier temps, l’application de la législation est assez obscure. Une délibération de l’administration municipale du 2 pluviose an IV [22 janvier 1796] rappelle que c’est à chaque particulier de faire « enlever dans le plus court délai possible, les matériaux & décombres, gravois & immondices déposés par eux devant leurs portes (…) » sans précision sur le devenir de ces dépôts. Autour de cela gravite toute une série de métiers liés à la récupération : boues pour les cultivateurs et jardiniers, chiffons, peaux, os ou autres éléments transformables par des chiffonniers ou autres, gravats et matériaux par les entreprises de travaux.
En séance du conseil municipal du 29 thermidor an IX [17 août 1801], un mode de fonctionnement est précisé et adopté. « Nul ne pourra enlever avec voiture, bête de somme, brouette ou hotte, les boues et immondices éparses dans les rues de la ville & fauxbourgs (sic) d’Orléans » sans qu’il n’ait payé au préalable une redevance à la mairie. L’idée que la ville puisse tirer une valeur pécunière des déchets fait son chemin.
Les entrepreneurs de boues et immondices
De la fin du 18e siècle jusqu’en 1918, un système d’adjudication est en place. Des entrepreneurs sont chargés de l’enlèvement des « boues et immondices » selon des cahiers des charges renouvelés régulièrement. Ces derniers fixent, par exemple, l’étendue du ramassage dans les rues de la ville mais aussi les conditions de passage des tombereaux. Ces entrepreneurs enlèvent sans distinction les ordures ménagères des particuliers, les résidus de travaux publics, les déchets industriels, les excréments et boues ou encore les résidus du balayage. Les tarifs sont déterminés dans l’adjudication, généralement par tombereau, ce qui équivaut à dire par volume enlevé.
Les archives montrent que tout au long de cette période la question de l’enlèvement des déchets est compliquée. En 1794, l’administration indique déjà que les citoyens chargés du ramassage ne prennent que ce qui peut leur convenir et laissent le reste. Cela pose des problèmes de santé publique. L’arrêté du 9 floréal an IX [29 avril 1801] indique que les jardiniers et cultivateurs ont contracté l’obligation dans la partie rurale de la ville « d’enlever sans tri ni distinction les boues et immondices éparses dans les rues et places publiques » mais qu’ils font preuve de « négligence impardonnable » donnant une impression de « malpropreté continuelle » et qui peut avoir « des inconvénients les plus graves pour la santé des citoyens ». Ces derniers prennent uniquement de quoi faire leur engrais. Par ailleurs, l’entrepreneur chargé du ramassage dans le centre-ville n’est pas non plus exonéré de critiques : irrégularité des passages, problématiques de concurrence avec les jardiniers pour la récupération de ce qui peut être valorisé ou encore dépôts sauvages reviennent régulièrement dans les plaintes.
Surveillance et organisation
Jusqu’à la création du service municipal d’enlèvement des ordures ménagères en 1918, la Ville ne gère pas directement le retrait des déchets mais a uniquement une fonction de surveillance et police sur la voie publique. Aussi, elle est véritablement confrontée à un problème de dialogue entre les habitants et les entrepreneurs chargés du ramassage qui se renvoient la faute. A chaque renouvellement du cahier des charges, des améliorations sont pourtant proposées.
Qui plus est, la question de la rentabilité économique reste souvent évoquée par les entrepreneurs de boues et immondices. Faute de tri et en raison du coût d’entretien des chevaux, le service d’enlèvement est souvent présenté comme peu avantageux. La Première Guerre mondiale va précipiter la fin du système d’adjudication.
1918, le tournant de la première Guerre Mondiale
La mobilisation et un hiver rigoureux
La Grande Guerre exacerbe les problèmes liés à la collecte des ordures ménagères. Le manque de personnel et la réquisition des chevaux plongent l’entreprise Georges Boucher & Lorigny dans les plus grandes difficultés, notamment en raison de la mobilisation de son personnel. Le point culminant est atteint durant l’hiver 1918. Durant près d’un mois, la neige et le gel empêchent tout service. La municipalité et les Orléanais sont alors « en présence d’une accumulation d’ordures ménagères dans les rues de la ville ». Le retrait partiel doit attendre que la circulation des chevaux puisse se faire sans danger. Aussi, pour revenir plus rapidement à la normale, des demandes d’aide sont formulées auprès des autorités militaires. Celles-ci mettent des camions automobiles et des soldats à disposition.
La reprise en régie par la Ville : du provisoire devenu définitif
Alors que la société Georges Boucher & Lorigny est en déficit, la Ville envisage de reprendre en régie directe la gestion du ramassage des déchets dès avril 1918. Cette question, jugée « grave et complexe », fait débat en séance privée du conseil municipal du 18 février. Il faut prévoir des dépenses « énormes » d’entretien, en particulier l’alimentation des chevaux. Un rapport du directeur des travaux municipaux envisage une réorganisation du service de ramassage pour arriver à l’équilibre financier entre les dépenses et les recettes. Il s’agirait de réduire le nombre de tombereaux et d’expédier par voie ferrée les ordures vers des dépôts des environs dont la ferme de Machau (Vennecy) « où elles pourraient être utilisées comme engrais ». La revente aux cultivateurs serait une source de revenu. Le budget à l’équilibre est de 80 000 francs auquel s’ajoute pour la première année, le rachat pour 40 000 francs du matériel de collecte (tombereaux et chevaux).
Cette mise en régie ne doit être que temporaire. Les adjudications seront remises en place après la guerre car la Ville pense ne pas être en capacité d’assumer le service. En mars 1920, un nouveau cahier des charges est rédigé avec des nouveautés. Une tournée hebdomadaire doit assurer le ramassage des matières inertes non autorisées comme engrais. Le matériel doit être modernisé, c’est-à-dire motorisé et plus hygiénique. L’incinération des gadoues doit être étudiée. Mais la tentative de mise en adjudication n’aboutit pas car les rétributions demandées par entrepreneurs soumissionnaires sont trop élevées. Certains déchets n’ont plus assez de valeur et les entrepreneurs demandent des rétributions trop élevées.
La Ville poursuit alors tant bien que mal le service. En effet, le temps passant, les dépenses pour le ramassage des ordures augmentent continuellement du fait des frais de fonctionnement mais aussi de l’élargissement du périmètre de la collecte. Commence alors l’histoire de l’organisation du service au travers notamment du développement de ses moyens.
- A lire : Procès-verbal du conseil municipal du 18 février 1918 revenant sur la situation du ramassage des ordures ménagères.
- A lire : Procès-verbal du conseil municipal du 18 février 1918 relatif à la proposition de l'Administration concernant l'enlèvement des ordures ménagères.
- A lire : Procès-verbal du conseil municipal du 16 mars 1918 relatif à la mise en régie du service d'enlèvement des ordures ménagères.
1920 : valoriser les déchets, un enjeu économique avant tout
En séance du conseil municipal du 1er mars 1920, l’intervention d’Eugène Turbat, élu mais également horticulteur, montre à quel point la valorisation des déchets est porteur d'un enjeu économique, dans un contexte où le ramassage des boues et immondices est très déficitaire.
Il explique que les ordures ménagères non plus de valeur et que le prix auquel elles peuvent être vendues ne permet de les livrer que dans un rayon de 2 à 4 kilomètres du centre-ville. Sans valeur, ces déchets sont emmenés dans des décharges publiques pour remblayer les terrains. Il poursuit son exposé en indiquant que les ordures sont trop mélangées de différentes matières pour en faire du fumier. Les cultivateurs doivent trier ce qui est leur est apporté, ce qui contribue à dévaloriser les déchets alors que l'engrais chimique progresse.
Il déplore le fait que les décharges publiques soient pleines et entrevoit la nécessité prochaine de devoir conduire gratuitement les ordures à 5 ou 7 kilomètres de la ville. Il incite à remettre le service en adjudication ou à faire en sorte que le travail, en régie municipal, soit plus complet et productif.
Il annonce ensuite quelques chiffres. En moyenne le ramassage conduit à 40 tombereaux par jour, vendus 3 francs chacun soit 37 000 francs par an. Il pense que triées, ces tombereaux rapporteraient chacun 2 francs de plus soit 24 000 francs supplémentaires. Il invoque donc le fait de trier avant le transport chez les cultivateurs. A cette époque, la question environnementale n'est pas abordée.
Eugène Turbat pense aussi que le procédé d’incinération est trop coûteux puisqu’il implique la construction de bâtiments spécifiques. Pour lui, l'idée serait à revoir ultérieurement avec le développement et la baisse des coûts des engrais chimiques.
A l’occasion de cette intervention, Eugène Turbat dresse un portrait édifiant de la gestion des déchets en 1920. Il rappelle que les livraisons de fumiers faites jusque-là en dehors du périmètre de l’octroi ont laissé sur les terrains « des tas de détritus non assimilables, des boîtes métalliques » notamment. Et il demande que cet arriéré soit liquidé sans expliquer, pour autant, le devenir de ces déchets non assimilables.
1926, naissance de la taxe des ordures ménagères
Assez rapidement après la mise en régie directe de 1918, la municipalité se rend compte que les coûts d’exploitation du service des ordures ménagères sont en constante augmentation. Après la Première guerre mondiale, les prix croissent ce qui a une répercussion sur le coût de la nourriture des chevaux par exemple. De plus, le service s'étend à une zone géographique de plus en plus vaste. Enfin, l'amélioration technique engendre également de nouveaux frais.
En 1924, une dépense de 319 000 francs est inscrite au budget pour une recette de 40 000 francs seulement dont 17 000 francs pour la revente des ordures ménagères et 33 000 francs pour le remboursement de transports faits pour le compte des services municipaux. La revente des ordures ménagères est souvent compliquée en raison d’un manque de tri qui rendrait pourtant la partie la plus noble (les boues) utilisable comme engrais.
Le 4 décembre 1925, le conseil municipal adopte le principe d’une taxe rémunérant le service d’enlèvement des ordures ménagères. Mais la redevance ne peut s’appliquer car elle n’est pas encore encadrée par une loi. Aussi, c’est à titre exceptionnel, qu’Orléans peut le faire suite à un vote en Parlement du 11 août 1926. Deux jours plus tard, la loi dite Niveaux autorisent finalement tous les départements et toutes les communes à établir une taxe.
La taxe est annuelle et repose sur la valeur locative estimée des immeubles qui paient la contribution foncière. Elle s’échelonne ainsi de 12 à 102 francs pour Orléans. Les usines, magasins de commerce et services publics sont exemptés. Les propriétaires qui paient la taxe ont la responsabilité de la répercuter à leurs locataires. Pour la mise en application en 1927, la Ville prévoit des exemptions pour les indigents déclarés au Bureau de bienfaisance, les familles dont le chef bénéficie de « l’assistance aux vieillards » et pour « tous les Orléanais qui déclareront ne pas déposer d’ordures sur la voie publique ». En effet, la taxe est instituée en échange d’un service rendu. Aussi, la municipalité indique qu’il est « logique » que les contribuables qui n’utilisent pas le service n’en supportent pas les frais.
A l’époque, cela s’applique principalement à la population habitant dans la zone rurale d’Orléans et qui conserve ses ordures ménagères pour « ses propres besoins » à savoir l’engrais. La Ville indique même qu’il serait souhaitable qu’aucun usager de la périphérie de la ville ne livre ses immondices aux éboueurs car dans cette zone, le service est plus difficile à assurer et donc plus coûteux. L’autorité municipale ne voit pas de risque en matière d’hygiène et même, au contraire, une source d’économie de service.
L’exonération de la taxe touche aussi les habitants des rues non desservies par les tombereaux qui assurent le ramassage. Mais elles sont désormais de moins en moins nombreuses, une trentaine en à l’époque.
En 1926, 16 667 ménages orléanais sont imposables. La municipalité estime que 3 000 seront exonérés. L’année 1927 sera une année test. Le barème de taxation sera divisé par deux pour encourager les ménages à s’acquitter et à se munir « à leur frais, de la poubelle type officiel ». La recette 1927 serait de 70 000 francs, loin d’équilibrer la dépense estimée à 369 000 francs. Mais l’augmentation doit être progressive et « si modeste qu’elle soit, cette recette n’est point à dédaigner ».
Une mission d'intérêt intercommunal
Très tôt, les problématiques de collecte dans les rues limitrophes ou encore de dépôts sur le territoire des communes alentour montrent que la question des déchets dépasse les frontières d’Orléans. L’augmentation et la diversification des déchets au cours du 20e siècle vont l’exacerber. Elle est finalement étudiée à l’échelle intercommunale dès 1963. Le transfert par la Ville d’Orléans de la compétence « ordures ménagères » participe ainsi à la création du Syndicat intercommunal à vocation multiple de l’agglomération orléanaise (SIVOMAO).