De la canche aux décharges contrôlées
De la canche aux décharges contrôlées
Quand ils ne sont pas réutilisables par les maraîchers, les déchets sont emportés dans des dépotoirs à ciel ouvert installés sur des terrains généralement vagues ou des chemins. À Orléans et sa proche banlieue, ces sites sont désignés sous le terme de « canche », au moins de la fin du 18e siècle jusqu’à la fin des années 1990.
Si les canches ont plutôt vocation à accueillir des gravats provenant des démolitions, elles recevaient de fait d’autres détritus pour lesquels on ne cherchait pas d’autres sorts, tels que les cadavres d’animaux.
Des problèmes de sécurité et surtout d'hygiène
Les canches posent des problèmes de sécurité et d’hygiène publique mais sont maintenues tout le long du 20e siècle faute d’autres solutions. La question environnementale est peu évoquée. Des altercations avec les gardes-canches et des incendies provoqués par les chiffonniers qui fouillent les détritus sont rapportés. Accusées de ternir le paysage ligérien, les canches dégagent des odeurs nauséabondes, attirent rats et corbeaux et peuvent causer la pollution des eaux alentours et entraîner des maladies. Après la seconde guerre mondiale, elles sont l’un des témoins des Trente Glorieuses et de la consommation de masse avec l’arrivée d’objets et matériaux dont on ne sait que faire comme l’électroménager et le mobilier usagé ou encore les plastiques qui s’envolent souvent sur les propriétés alentour.
Des décharges contrôlées à la naissance de l'UTOM
En 1950, la Ville d’Orléans achète un premier bulldozer pour étaler, compresser et recouvrir les déchets avec du sable. Du crésyl, un fort désinfectant, est répandu ici ou là. C’est la naissance de ce qu’on appelle les décharges contrôlées. La mise en place d’une chaîne de traitement des déchets à partir des années 1970, avec les UTOM puis les déchèteries dans les années 1990, va engager la fin des décharges publiques et la lutte contre les dépôts sauvages, y compris en débaptisant parfois les chemins ou rues dites « de la Canche ».
Les canches sous les quais ?
En bord de Loire, les canches ont façonné plusieurs quais comme celui du Châtelet au 18e siècle, puis dans les années 1830-1840, ceux situés dans les secteurs Saint-Charles et Tudelle, au Sud. Les décombres d’Orléans bombardée vont modeler, quant à eux, les quais Cypierre, Barentin, Saint-Laurent et Madeleine dans les années 1940.
La canche Saint-Charles
En 1833, c’est grâce à une demande d’acquisition de terrain par le Sieur Picard, boucher à Saint-Jean-le-Blanc, qu’on apprend dans les délibérations du conseil municipal qu’il existait une canche dite canche Saint-Charles dans les années 1830 au sud de la Loire. Le texte permet de comprendre que celle-ci se situe vers la levée des Capucins, en limite des deux communes d'Orléans et de Saint-Jean-le-Blanc sans plus de précision.
La demande d’acquisition du Sieur Picard est rejetée par la Ville d’Orléans car une fois comblée, le terrain de la canche doit servir à établir une place d’armes pour les manœuvres militaires voire, pour réaliser également une promenade plantée d’arbres, « promenade fort agréable par son beau point de vue et la proximité de la ville ».
En 1835, il est même question d’accélérer le comblement du terrain de la canche en y mettant du sable de Loire. Une délibération du 1er février 1839 permet de savoir que le comblement a bien été achevé et qu’il faut trouver une autre destination pour les décombres. La canche Tudelle est alors évoquée.
Projet quai Tudelle. Plan aquarellé (extrait). Vers 1838. AMO 1Fi153.
La canche Tudelle
En août 1838, le conseil municipal évoque une demande d’alignement du quai Tudelle et un prolongement en ligne droite vers l’Ile Arrault. Cette question est approfondie une première en séance du 1er février 1839. Pour l’accomplissement du projet, à moindre frais, il est demandé que les immondices et décombres provenant des diverses démolitions soient dirigés vers ce secteur.
A l’époque, le quai Neuf Tudelle est le seul qui ne se prolonge pas en ligne droite au contraire des autres quais de la ville qui ont fait l’objet d’importants travaux de comblement et d’aménagement les années précédentes. Au sud-ouest du pont Royal, la route est courbe pour se raccorder à l’avenue de Saint-Mesmin. La levée construite pour la protection contre les inondations serpente vers l’ouest, vers l’Ile Arrault et des terrains submersibles. L’idée est donc à la fois d’embellir et de protéger la ville en utilisant des terrains inondables mais aussi de gagner sur le fleuve lui-même. Le chemin aménagé permettra aussi à la garnison de se rendre sur le futur champ de manœuvres aménagé à L’Ile Arrault.
Pour cela, et combler le terrain, les « imatériaux et décombres » provenant de l’ouverture de la rue Sainte-Croix [rue Jeanne-d’Arc] ainsi que les « immondices ordinaires » seront utilisés.
La décision est entérinée lors de la séance du conseil municipal du 18 août 1840. Dans la séance du 10 décembre 1847, on apprend ainsi que 2,50 hectares sont gagnés sur la Loire.
Le souvenir de cette canche perdure dans la toponymie après sont utilisation puisqu’il n’est pas rare dans les années … de lire dans les documents d’archives « ancienne canche Tudelle » pour désigner le lieu qui accueillera finalement un stand de tir et une promenade. Cette canche était probablement située entre ce qui est dorénavant le quai de Prague et l’avenue de Trévise.
L'éloignement du centre ville
Tout au long du 20e siècle, en raison de l’urbanisation croissante, de l’évolution des règles d’hygiène et de l’augmentation des quantités d’ordures à entreposer, les canches s’éloignent progressivement du centre d’Orléans. Il faut trouver des terrains toujours plus vastes, facilement et rapidement accessibles mais, pour autant, éloignés des habitations.
La canche de l'Ile-de-Corse
La très emblématique canche municipale de l’Ile-de-Corse, en bord de Loire, à Saint-Jean-le-Blanc, fonctionne de 1921 à 1951. Elle a la particularité d’être sur un terrain acheté par la Ville d’Orléans.
Ensuite, des terrains privés seront loués plus ou moins successivement à Saint-Pryvé-Saint-Mesmin puis à Saint-Hilaire-Saint-Mesmin, et de la fin des années 1970 aux années 1980, à Ardon et Mézières-lez-Cléry. Il existe également une canche au Clos du Trousset à Saint-Jean-de-Braye entre 1957 et 1963.
Le saviez-vous ?
L’origine du mot « canche » est incertaine. Dans les années 1980, Guy Bataille, dans Acoute que j’te cause, indique qu’en vieux français cancel, du latin cancelli, désignait une clôture dans un cours d’eau, une pêcherie faite d’un entrelacs de branchages (fascines) pour canaliser et prendre le poisson. De là à penser que le terme « canche », au sens de dépotoirs, dérive des pêcheries ? Pourquoi pas ? À Orléans, les canches ont servi, au moins un temps, à combler les trous de Loire pour former les quais...
Plan de l'ancien pont d'Orléans et des abords du côté du Portereau, 18ème siècle. Détail. Médiathèque d'Orléans. Cliché Archives départementales du Loiret. MS 0590.